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crois être arrivé à me faire une opinion et à
me créer une ligne de conduite. Mais, ce que
je pense, tout le monde ne le pense pas et
nous avons eu quelques incidents depuis deux
jours : trois avions ont quitté la base avec de
jeunes sous-officiers. Hélas, le dernier s’est
écrasé au sol aussitôt après le décollage : les
huit fugitifs ont trouvé la mort. Des mesures
très strictes empêchent maintenant que de
tels faits se reproduisent. Notre force armée
est détruite et nous sommes à la merci du
vainqueur. Cette situation s’est déjà vue dans
l’histoire. Ce fut celle de la Prusse après Iéna,
de la France en 1815, de la France en 1871, de
l’Allemagne en 1918.
Le vainqueur est un pays surpeuplé qui a des
vues territoriales et impérialistes. Il est le
maître de la situation, ayant gagné la guerre à
lui seul, pratiquement sans alliés. Voilà des
raisons qui pourraient nous faire craindre le
pire. Mais nous avons des raisons de ne pas
désespérer. La première est que la guerre
n’est pas terminée et que la situation de
l’Allemagne n’est pas tellement brillante, face
à l’Angleterre en lutte, face à la Russie qui lui
barre maintenant la route du pétrole et de
l’Orient, face à l’Amérique qui s’arme. Quelle
soit la solution de la lutte, plusieurs puissances volonté, cette fermeté ne vont pas sans de
auront leur mot à dire au cours de la
discussion du traité de paix. La parole est donc
à la diplomatie et l’action de celle-ci doit
d’abord viser à détacher l’Italie de
l’Allemagne, à lui présenter les inconvénients
d’une Allemagne puissante en Europe.
Evidemment nous aurons des concessions à
faire de ce côté. Mais pour que la diplomatie
puisse agir, il faut que la France soit unie et ne justesse par Tereska Torrès, jeune femme de
forme qu’un bloc derrière son gouvernement.
Il faut donc à tout prix conserver l’unité de
l’empire français. L’unité territoriale semble
sauve : toutes les colonies suivent maintenant
les instructions gouvernementales. La flotte
reste dans les ports français. Reste l’unité
morale. Souhaitons qu’elle se réalise et que
l’opinion internationale n’attache pas trop
d’importance à certaines scissions et ne les
favorise pas trop. Il n’y a également pas à
craindre, sur le plan intérieur, une poussée du
communisme. Quelle sera ma situation
prochaine ? Nous attendons la
démobilisation. Je n’ai pas été activé : par
conséquent, je serai probablement libéré. Je
serai dans la situation de beaucoup d’autres :
désaxé, sans but précis.
Je ne nie pas que la solution courageuse serait
de rentrer en France et de se mettre au travail
: le pays aura besoin de toutes les énergies.
Mais beaucoup seront tentés par la grande
aventure. Et si je considère qu’étant sous les
drapeaux, se sauver pour rejoindre une
puissance étrangère est une désertion pure et
simple et très préjudiciable aux intérêts
français, la situation n’est plus la même, une
fois libéré.
Certains –ils sont très peu- ont très tôt la
prescience qu’il est désormais vain de
continuer à croire en la France de la défaite. Ils
quittent la France, non pour s’affranchir des
événements ou se cacher, mais pour retrouver
un pays –l’Angleterre- dont on est persuadé
qu’il sera le seul pays européen à vouloir
continuer la guerre. Cette prescience, cette
grands tourments intérieurs. L’écriture
féminine n’a généralement pas les pudeurs de
l’écriture masculine pour dire ses tourments,
du moins dans la confidence du journal intime.
La subjectivité s’y exprime facilement. Les
replis de l’âme se donnent à lire plus
librement. L’émotion que suscite l’acte majeur
de quitter son pays est notée avec une grande
19 ans qui, à la fin de l’année 1940, traverse la
Péninsule ibérique –non clandestinement, ce
qui est exceptionnel- avec sa mère pour
rejoindre Londres où son père sert dans une
Division polonaise et où elle s’engagera dans
le Corps féminin des Forces Françaises Libres.
Partir est un déracinement, c’est aussi un
déchirement.
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