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les supérieures sont en mansardes sous le peu dans les cours, ou on joue un bridge entre
toit). Dans cet espace réduit couchent en camarades. Malheureusement il n’y a pas,
général cinq ou six hommes, j’ai vu des calles dans tout le camp, un lieu où l’on puisse écrire
où ils étaient sept. Il est vrai que ce ne sont pas ou lire à l’aise, pas un banc, pas une chaise et
les lits qui prennent de la place, en principe il une table, pas un groupe intellectuel qui
n’y en a pas… En fait quelques poutres de bois puisse fonctionner d’une façon organisée à
assemblées et tendues d’une couverture ou cause du manque de local. Celui qui veut
d’un sac de couchage sont devenus des lits écrire, lire ou dessiner est à peu près dans
mais ils sont rares dans le camp. Plus rare l’impossibilité de le faire. Le plus total
encore sont quelques lits en fer, volés je ne inconfort et la saleté perpétuelle vous
sais comment aux autorités espagnoles ou ramènent sans cesse au matériel sans pouvoir
récupérés plus vraisemblablement à la se rapprocher des choses de l’esprit. Pour tout
ferraille à en juger par leur état. On peut le milieu étudiant ou intellectuel et cultivé,
considérer que dans le camp il y a en moyenne c’est sans doute une des plus dures épreuves
une calle sur six équipée d’un ou deux “ lits ”. du camp. Une seule baraque sort de cette
Pour réduire la place, ces lits sont suspendus atmosphère : le cinéma, mais étant donné son
la plupart du temps. Plus fréquents sont les succès on ne peut y passer plus de deux
hamacs de fortune que l’on accroche le soir heures par semaine.
entre deux poutres de la calle. Malgré ces
aménagements ingénieux, la majorité des L’esprit au camp. Il y a trois catégories de
hommes couchent à même le plancher Français : ceux qui, fuyant l’Allemagne, se
puisque l’état des paillasses ne permet pas de réfugient en Espagne ; ceux qui ont quitté la
les emplir de paille. Encore heureux sont ceux France pour la même raison mais qui veulent
qui bénéficient d’un plancher, bien souvent se battre ; ceux qui ont tout quitté en France
c’est la terre battue ! Je connais des sans être menacés de partir en Allemagne et
camarades qui préfèrent coucher dehors, la qui veulent se joindre à l’armée française
poussière est partout accumulée et il est active. Le premier groupe se heurte aux deux
impossible de donner un aspect de propreté à autres. Je ne puis évaluer son importance mais
ces calles. ce que je puis affirmer c’est qu’il est loin d’être
négligeable. Ces gens-là deviennent des
La nuit, les rats courent de toutes parts et il est commerçants, depuis ceux qui dévalisent la
fréquent d’être éveillé par une de ces bêtes cantine pour revendre les produits à des prix
énormes vous passant sur le visage. Rares plus élevés dans les allées du camp jusqu’aux
aussi sont les calles sans punaises, il est acheteurs des montres, bijoux ou monnaies
fréquent de les voir par dizaines, sur les étrangères qui se sont fait jusqu’à des 150 000
couvertures et les murs que de n’en pas voir. pts en passant par les teneurs de bars ou de
S’il fallait les écraser on n’en viendrait pas à tables de jeux. C’est dans cette catégorie que
bout, on les brûle à la bougie, d’autres, plus l’on trouve des gens qui à chaque départ
philosophes, les laissent courir... revendent leur place au plus offrant en
obtenant jusqu’à 1 500 ou 2 000 pts. A côté de
[…] La vie au camp. Levée à 8 h 30 pour la ceux-là, il y a ceux qui veulent partir, qui sont
cérémonie aux couleurs et pour l’appel prêts à vendre toutes leurs affaires pour
numérique. On emploie la matinée à ranger arriver à rejoindre les forces françaises. Pour
un peu sa calle, à faire pendant une heure la ceux-là, seul compte le départ. Chaque bruit
queue pour la douche et ensuite pour aller concernant un convoi modifie totalement le
chercher de l’eau pour la boisson. L’après- moral du camp. En fin juillet, on sentait les
midi on fait une sieste et l’on se promène un esprits très échauffés prêts à manifester, à
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toit). Dans cet espace réduit couchent en camarades. Malheureusement il n’y a pas,
général cinq ou six hommes, j’ai vu des calles dans tout le camp, un lieu où l’on puisse écrire
où ils étaient sept. Il est vrai que ce ne sont pas ou lire à l’aise, pas un banc, pas une chaise et
les lits qui prennent de la place, en principe il une table, pas un groupe intellectuel qui
n’y en a pas… En fait quelques poutres de bois puisse fonctionner d’une façon organisée à
assemblées et tendues d’une couverture ou cause du manque de local. Celui qui veut
d’un sac de couchage sont devenus des lits écrire, lire ou dessiner est à peu près dans
mais ils sont rares dans le camp. Plus rare l’impossibilité de le faire. Le plus total
encore sont quelques lits en fer, volés je ne inconfort et la saleté perpétuelle vous
sais comment aux autorités espagnoles ou ramènent sans cesse au matériel sans pouvoir
récupérés plus vraisemblablement à la se rapprocher des choses de l’esprit. Pour tout
ferraille à en juger par leur état. On peut le milieu étudiant ou intellectuel et cultivé,
considérer que dans le camp il y a en moyenne c’est sans doute une des plus dures épreuves
une calle sur six équipée d’un ou deux “ lits ”. du camp. Une seule baraque sort de cette
Pour réduire la place, ces lits sont suspendus atmosphère : le cinéma, mais étant donné son
la plupart du temps. Plus fréquents sont les succès on ne peut y passer plus de deux
hamacs de fortune que l’on accroche le soir heures par semaine.
entre deux poutres de la calle. Malgré ces
aménagements ingénieux, la majorité des L’esprit au camp. Il y a trois catégories de
hommes couchent à même le plancher Français : ceux qui, fuyant l’Allemagne, se
puisque l’état des paillasses ne permet pas de réfugient en Espagne ; ceux qui ont quitté la
les emplir de paille. Encore heureux sont ceux France pour la même raison mais qui veulent
qui bénéficient d’un plancher, bien souvent se battre ; ceux qui ont tout quitté en France
c’est la terre battue ! Je connais des sans être menacés de partir en Allemagne et
camarades qui préfèrent coucher dehors, la qui veulent se joindre à l’armée française
poussière est partout accumulée et il est active. Le premier groupe se heurte aux deux
impossible de donner un aspect de propreté à autres. Je ne puis évaluer son importance mais
ces calles. ce que je puis affirmer c’est qu’il est loin d’être
négligeable. Ces gens-là deviennent des
La nuit, les rats courent de toutes parts et il est commerçants, depuis ceux qui dévalisent la
fréquent d’être éveillé par une de ces bêtes cantine pour revendre les produits à des prix
énormes vous passant sur le visage. Rares plus élevés dans les allées du camp jusqu’aux
aussi sont les calles sans punaises, il est acheteurs des montres, bijoux ou monnaies
fréquent de les voir par dizaines, sur les étrangères qui se sont fait jusqu’à des 150 000
couvertures et les murs que de n’en pas voir. pts en passant par les teneurs de bars ou de
S’il fallait les écraser on n’en viendrait pas à tables de jeux. C’est dans cette catégorie que
bout, on les brûle à la bougie, d’autres, plus l’on trouve des gens qui à chaque départ
philosophes, les laissent courir... revendent leur place au plus offrant en
obtenant jusqu’à 1 500 ou 2 000 pts. A côté de
[…] La vie au camp. Levée à 8 h 30 pour la ceux-là, il y a ceux qui veulent partir, qui sont
cérémonie aux couleurs et pour l’appel prêts à vendre toutes leurs affaires pour
numérique. On emploie la matinée à ranger arriver à rejoindre les forces françaises. Pour
un peu sa calle, à faire pendant une heure la ceux-là, seul compte le départ. Chaque bruit
queue pour la douche et ensuite pour aller concernant un convoi modifie totalement le
chercher de l’eau pour la boisson. L’après- moral du camp. En fin juillet, on sentait les
midi on fait une sieste et l’on se promène un esprits très échauffés prêts à manifester, à
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