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rie, il est nécessaire que ces Français cent par conséquent peu soucieuses de les réduire
pour cent soient à leur vraie place. Ils ont déjà ; ou bien elles sont rapidement achetées, si
combattu dans l’ombre, saboté, aidé, soutenu elles manifestent de rares velléités
ou commandé des groupes de Résistance, ils d'intervention.
ont l’esprit qui anime, ils sont de ceux dont on
peut dire : ce sont des hommes. La mort ne La loi du plus fort est la seule appliquée entre
choisit pas d’âge, et l’on ne peut pas nous les détenus. Les différends se règlent à coups
refuser d’aller mourir pour notre pays. Les de poings ou de couteaux. Les batailles sont
événements changent de jour en jour ? Ce parfois des duels, quelquefois aussi des
serait un déshonneur pour nous d’être restés combats collectifs, mais le plus souvent, ce
ici, nous serons la risée de tous. sont des écrasements d'un seul par six, dix ou
plus. Ce sont les Polonais qui se livrent à cette
14. Le camp de Miranda, mélange délicate besogne. Les autorités espagnoles
malsain de violence et d’indifférence laissent les détenus s'arranger entre eux. Les
soldats aident parfois à traîner les victimes
Le camp de Miranda, comme tout camp, est jusqu'à l'infirmerie ; mais il n'y a jamais
un mélange malsain de violence et d'enquête pour déterminer la responsabilité
d’indifférence. Il faut y voir une partie le des massacres.
résultat des conditions de détention où la
surveillance extérieure extrême coexiste avec Pourquoi cette organisation incohérente ?
une certaine inorganisation interne. Ce D'abord parce que les Espagnols sont
rapport, rédigé en mai 1943, trouvé dans les incapables d'en mettre sur pied une meilleure.
archives de la Croix Rouge, décrit cette étrange On ne trouve chez eux aucune méthode, on ne
atmosphère. Il met l’accent sur un aspect que constate dans aucun domaine la netteté d'un
les anciens évadés que j’ai rencontrés ont plan, on ne sent dominer nulle part l'idée du
systématiquement minoré, s’ils ne l’ont pas commandement. Ensuite, l'Espagnol est
oublié ou nié. Les rapports sont un genre vénal, vénal au dernier point. Le sergent
particulier, où l’évadé intervient comme chargé de surveiller la vente clandestine entre
expert. Ils sont demandés par l’échelon central au camp, les poches bourrées de
de la Croix Rouge à certains évadés de France marchandises ; et cet état de choses se
lorsque ceux-ci, après avoir purgé leur “ délit retrouve partout.
d’espérance ”, sont de passage à Madrid, calle
San Bernardo. Chaque évadé est une source Ce même rapport indique qu'une amélioration
d’informations qui peuvent être utiles pour très sensible est observée à partir de
améliorer le système. Il faut mentionner ces mars/avril 1943 grâce tout à la fois au départ
rapports pour avoir un panorama complet de massif des Polonais, à la baisse momentanée
la littérature des internés, à côté des des effectifs, l'apparition du soleil, l'arrivage
interventions individuelles et collectives hebdomadaire d'un camion américain chargé
spontanées (chefs de groupes, médecins). de vivres qui réduit “ l'extraperlisme ” (le
marché noir), et la nomination d'un nouveau
Le camp de Miranda est soigneusement responsable du camp, le colonel Molina.
gardé, c'est à dire que les évasions en sont Prenons le rapport manuscrit de N. relatif au
pratiquement impossibles. Mais à l'intérieur, camp de Miranda, rédigé le 20 août 1943,
la surveillance est inexistante. Les trafics retrouvé dans les archives de Monseigneur
commerciaux les plus divers sont pratiqués et Boyer-Mas. Ce rapport est très précis et
les autorités chargées de les réprimer sont relativement neutre, même si, naturellement,
généralement intéressées aux bénéfices, et il porte la marque de celui qui l’a rédigé.
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pour cent soient à leur vraie place. Ils ont déjà ; ou bien elles sont rapidement achetées, si
combattu dans l’ombre, saboté, aidé, soutenu elles manifestent de rares velléités
ou commandé des groupes de Résistance, ils d'intervention.
ont l’esprit qui anime, ils sont de ceux dont on
peut dire : ce sont des hommes. La mort ne La loi du plus fort est la seule appliquée entre
choisit pas d’âge, et l’on ne peut pas nous les détenus. Les différends se règlent à coups
refuser d’aller mourir pour notre pays. Les de poings ou de couteaux. Les batailles sont
événements changent de jour en jour ? Ce parfois des duels, quelquefois aussi des
serait un déshonneur pour nous d’être restés combats collectifs, mais le plus souvent, ce
ici, nous serons la risée de tous. sont des écrasements d'un seul par six, dix ou
plus. Ce sont les Polonais qui se livrent à cette
14. Le camp de Miranda, mélange délicate besogne. Les autorités espagnoles
malsain de violence et d’indifférence laissent les détenus s'arranger entre eux. Les
soldats aident parfois à traîner les victimes
Le camp de Miranda, comme tout camp, est jusqu'à l'infirmerie ; mais il n'y a jamais
un mélange malsain de violence et d'enquête pour déterminer la responsabilité
d’indifférence. Il faut y voir une partie le des massacres.
résultat des conditions de détention où la
surveillance extérieure extrême coexiste avec Pourquoi cette organisation incohérente ?
une certaine inorganisation interne. Ce D'abord parce que les Espagnols sont
rapport, rédigé en mai 1943, trouvé dans les incapables d'en mettre sur pied une meilleure.
archives de la Croix Rouge, décrit cette étrange On ne trouve chez eux aucune méthode, on ne
atmosphère. Il met l’accent sur un aspect que constate dans aucun domaine la netteté d'un
les anciens évadés que j’ai rencontrés ont plan, on ne sent dominer nulle part l'idée du
systématiquement minoré, s’ils ne l’ont pas commandement. Ensuite, l'Espagnol est
oublié ou nié. Les rapports sont un genre vénal, vénal au dernier point. Le sergent
particulier, où l’évadé intervient comme chargé de surveiller la vente clandestine entre
expert. Ils sont demandés par l’échelon central au camp, les poches bourrées de
de la Croix Rouge à certains évadés de France marchandises ; et cet état de choses se
lorsque ceux-ci, après avoir purgé leur “ délit retrouve partout.
d’espérance ”, sont de passage à Madrid, calle
San Bernardo. Chaque évadé est une source Ce même rapport indique qu'une amélioration
d’informations qui peuvent être utiles pour très sensible est observée à partir de
améliorer le système. Il faut mentionner ces mars/avril 1943 grâce tout à la fois au départ
rapports pour avoir un panorama complet de massif des Polonais, à la baisse momentanée
la littérature des internés, à côté des des effectifs, l'apparition du soleil, l'arrivage
interventions individuelles et collectives hebdomadaire d'un camion américain chargé
spontanées (chefs de groupes, médecins). de vivres qui réduit “ l'extraperlisme ” (le
marché noir), et la nomination d'un nouveau
Le camp de Miranda est soigneusement responsable du camp, le colonel Molina.
gardé, c'est à dire que les évasions en sont Prenons le rapport manuscrit de N. relatif au
pratiquement impossibles. Mais à l'intérieur, camp de Miranda, rédigé le 20 août 1943,
la surveillance est inexistante. Les trafics retrouvé dans les archives de Monseigneur
commerciaux les plus divers sont pratiqués et Boyer-Mas. Ce rapport est très précis et
les autorités chargées de les réprimer sont relativement neutre, même si, naturellement,
généralement intéressées aux bénéfices, et il porte la marque de celui qui l’a rédigé.
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