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évadés sont souvent sollicités par les possibilité de diriger les volontaires chez
services de renseignements lorsqu’ils arrivent Giraud. Comme l’entente ne se réalisait pas, la
à quitter la Péninsule ibérique : à Gibraltar, à majorité des volontaires se sentant entraînée
Lisbonne, parfois pendant le transfert en malgré elle dans l’armée de Giraud, éprouvait
bateau, à Casablanca, à Londres. On leur un malaise très regrettable. Parfois, on était
demande des renseignements sur la France, choqué par des conversations comme la
sur les Allemands en France, sur l’Espagne, sur suivante : le 26 février, un des employés de la
les conditions de détention. Parfois aussi sur mission du colonel Malaise nous menait de
l’état d’esprit des évadés et sur l’organisation l’Institut français aux pensions où nous
de la Mission française dissidente de Madrid. devions séjourner. Sans que personne
Sur ces deux derniers points, nous disposons demande quoi que ce soit, cet employé nous
d’un document très intéressant : c’est le dit : “ Vous avez de la chance que
rapport que le candidat FFL A.J. Nunes confie l’organisation du colonel Malaise s’occupe de
aux autorités gaullistes à Lisbonne, le 1er juin vous. A l’ambassade anglaise on vous aurait
1943. Il s’intitule : L’entente de Gaulle-Giraud mis à la porte et on vous aurait dit que les
et les Français de passage en Espagne. Les Français n’ont qu’à rester chez eux. Et de
gaullistes, au moment même où leur chef Gaulle ne peut faire davantage, d’ailleurs, il
arrive en AFN et s’apprête à livrer une bataille n’a autour de lui que des Juifs et des
à un autre général et rival, Giraud, sont communistes ”. Personne n’a relevé le
désireux de connaître la manière dont les moindre mot mais le lendemain, faisant à
évadés perçoivent la relation Giraud / de l’Institut français la connaissance de Mr. de
Gaulle. Ces évadés, en effet, sont une Chauvigny, je lui parlais de cet incident. Il me
“ ressource humaine ” importante, un enjeu à dit d’aller moi-même à l’ambassade
la fois politique et militaire, mais ils sont gérés britannique et demander Mr. Bret. Ce que je
par une organisation “ giraudiste ” lors de leur fis.
passage d’Espagne, soupçonnée de n’être
point affiliée au gaullisme. Il semble que L’activité du délégué du général de Gaulle.
Nunes, peut-être pour prouver son gaullisme,
emphatise quelque peu le vichysme d’une Pendant plusieurs mois, le salon d’attente
minorité et accentue la propagande pro- était quotidiennement empli de Français.
Giraud de la Mission française de Madrid. Dans un cabinet de toilette attenant au salon,
Mais il reconnaît que la représentation patiemment Mr. Bret écoutait la petite
gaulliste en Espagne est quasi inexistante histoire de chacun d’eux. Il donnait des
alors que la structure giraudiste n’est pas sans vêtements, de l’argent de poche et beaucoup
qualités, même si elle sort très amoindrie ce d’encouragements pour apaiser ces
cet “ audit ” très sévère. impatiences. Tous voulaient partir très vite
chez de Gaulle. Mais en Angleterre, on ne peut
La plupart des Français qui ont séjourné en admettre tout le monde, et Bret faisait son
Espagne désirent plus ardemment cette union choix. Les moyens, pour faire partir les gens,
[entre les deux généraux]. Pour eux, qui sont étaient clandestins, donc très limités. C’est
encore dans les prisons espagnoles, elle fâcheux. En tout cas, les réceptions de Bret
s’impose à bref délai. Une autre équivoque. étaient un réconfort moral. Le jour où un
Cette tendance furieusement anti-gaulliste est convoi de plus de 300 évadés quittait Madrid,
entretenue, volontairement ou non, par les ¾ de cet effectif auraient voulu aller “ chez
certaines apparences dans l’attitude de de Gaulle ”. L’accord n’était pas toujours
quelques membres de la Mission française à réalisé, et il semblait à ces Français qu’ils
Madrid. Cet organisme n’a peut-être que la

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