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n, au milieu de la cour, nos officiers sans société provoquées par cette guerre d’un type
arme qui regardaient, le visage pâle, nouveau. Beaucoup découvrent alors qu’ils
l’occupation et le désarmement de notre beau sont seuls, également, au milieu de leurs
régiment. A cinq heure et demie, l’appel eut camarades qui choisissent d’autres voies que
lieu avec plus de cérémonie que d’habitude et celle de la révolte et de la dissidence lorsqu’ils
quand nous fîmes le salut aux couleurs sous reçoivent une convocation pour aller travailler
les yeux des Allemands qui étaient [sic] tous en Allemagne. Brutalement, on classe ses amis
les escadrons au grand complet, leurs officiers en deux camps : ceux qui ont quelque chose
en tête, nous étions tous fiers de montrer que “ dans le ventre ”, et les autres. Les chemins se
malgré leur présence et de leurs armes, le séparent, géographiquement, politiquement
cœur de la France battait encore. et moralement. Cela laissera des traces
profondes. Avant le départ pour l’Espagne, le
La musique au complet jouait et le moment futur évadé est déphasé : il voit se dérouler
était solennel. Ensuite nous allâmes à la avec distance les rites et les frivolités d’une
soupe, ne sachant pas si nous étions société protégée qu’il va quitter ; il sait qu’il vit
prisonniers ou libérés. Le lendemain, l’ordre les derniers moments de sa jeunesse. Quand
de démobilisation arriva et aussitôt, escadron on quitte la France, on quitte aussi, comme
par escadron, nous allâmes remplir nos fiches. l’écrit l’auteur du texte inédit ci-dessous, son
esprit de jeune homme.
Vers dix heures du matin, notre lieutenant
nous fit appeler tout en nous demandant Je rentre à La M., cela devient sérieux, cela me
l’endroit où nous comptions nous retirer et il hante de faire un saut à M. : j’ai déjà raté un
nous demanda s’il pouvait compter sur nous voyage par suite du pointage des cartes de
en cas de coup dur avec les Allemands. Tout le travail. J’avais déjà poussé à Orléans où j’avais
monde donna l’assurance que, au moindre rencontré Bernard M., H. et Georges B. avec
signe, tous nous répondrions à son appel. Il un drôle d’état d’esprit. Tous trois ont décidé
nous en remercia avec effusion. Je lui donnai d’obéir à leurs convocations et d’aller en
l’adresse de mon oncle à Marseille et ce fut Bochie. M. et H. sont de braves garçons. L’un
terminé. […] a quelques raisons de penser n’être pas trop
mal là-bas et tous deux n’ont pas grand-chose
3. “ Au revoir maman je reviendrai, c’est dans le ventre. Pour Georges le cas est
sûr. Je te le promets ” beaucoup plus complexe. J’ai discuté toute
l’année avec lui au cours des nombreux
Se trouver tout à coup désemparés devant les déjeuners, il est pétri de Maurras et a suivi
incertitudes du moment, seuls face à des celui-ci dans sa politique pétainiste alors que
enjeux que les cadres anciens sont impuissants beaucoup de royalistes de l’A.F. comme moi
à saisir, seuls devant les choix à faire qui ont obliqué dans la voie anti-allemande. Il
engagent son avenir, sa famille, et, il faut bien considère -ou du moins il a dit- que c’est son
le dire, une certaine idée de la France, c’est devoir d’aller en Allemagne pour suivre
une expérience qui provoque une révolution l’action du maréchal et il fera comme il le dit,
chez des jeunes habitués jusque-là à se je recevrai sa lettre d’adieu à La M. me
conformer à ce qu’on leur disait de faire, dans demandant si je partais. Je suis loin de
une société très hiérarchisée, socialement et l’approuver mais c’est quand même un de
familialement. On aurait tort d’imaginer que mes meilleurs amis.
ces jeunes de 20 ans font bloc, que leur
attitude est unanime. La jeunesse de France Départ de Bailly, tout le Loiret semble être
est traversée elle aussi par les fractures de la vide, je file à M. Je tombe dans les bras de la

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