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rasser et apportent deux boîtes de insister, quel est le but de votre voyage
conserve qui nous seront bien utiles. A (réponses : “ saluer une vieille tante qui vit à
nouveau, oncle Pierre, puis oncle Jean (qui Lourdes ”) et qui ne sont sûrement pas dupes
nous remet une médaille de la vierge). Gaston quant à nos véritables intentions. Arrivée à
Decoop, se trouve à la maison l’après-midi. Pau à 12h.30. Après un frugal repas, nous
Maman prépare nos sacs : pour chacun, un retrouvons, à l’heure dite, place de Verdun,
chandail, 2 chemises, 2 caleçons, 2 paires de Madame B. qui nous confie à X (dont nous
chaussettes, 2 pantalons + sucre, biscuits, une saurons qu’il était guide au château des
fiole de rhum. Pénibles adieux à 17 heures. Albrets, souvenir d’Henri IV) et poète à ses
Pauvre maman criant son chagrin et dont nous heures. Longue marche, à distance
apercevons une dernière fois le visage labouré respectable les uns des autres afin d’éviter
à la fenêtre. Léonard fond en larmes. Papa d’attirer l’attention, et nous arrivons au terme
maîtrise difficilement son émotion ; ses de notre première étape : la “ Casilda ”,
derniers mots : “ Je suis sûr que notre bonne demeure de la famille Richard, dans la
maman vous guidera le long du chemin ”. Il banlieue de Pau. La mère de Madame Richard,
faut partir. Oncle Pierre nous accompagne personne exquise, d’une rare distinction, nous
jusqu’à la gare d’Austerlitz. Surprise ! Gaston accueille et nous installe dans une véranda
Decoop surgit, tout essoufflé, tenant en main située derrière la maison, du côté opposé à la
la bicyclette avec laquelle il vient de parcourir rue. Des consignes d’extrême prudence nous
la distance L’Haÿ-les-Roses/Austerlitz, pour sont données, consignes que nous
nous remettre un colis de provisions que, dans observerons à la lettre, d’autant plus qu’un
le trouble des adieux, nous avions oublié. Sur poste allemand se trouve à une centaine de
le quai, grâce au signal convenu (journal X mètres de la Casilda.
tenu dans la main gauche), nous rencontrons
Madame B... qui nous remet les billets et nous Le départ hors de France, vers l’inconnu, et en
signale que trois autres personnes seront du vue d’une entreprise risquée qui peut très bien
voyage ; rendez-vous, enfin, nous est donné mal finir, est généralement producteur
pour le lendemain, place de Verdun à Pau. d’angoisse. L’exil est peut-être au bout du
Départ du train vers 20h.20. Dans notre chemin. Chaque candidat a ressenti ce vertige,
compartiment, des gens sympathiques, des quel que soit son âge et sa situation. Pour les
Français de tous les jours, les uns de Calais, les plus jeunes –qui sont la majorité-
autres de Cahors. A l’arrêt en gare de Vierzon, l’expatriation, ne serait-ce que touristique, est
première émotion : contrôle allemand. Tout souvent une première expérience qui ajoute à
se passe bien et pourtant, nous n’avons pas de la dramatisation du départ. Un jeune Saint-
fausses cartes d’identité ! les nôtres portent la Cyrien (futur général) André Rogerie, a connu
mention : “ Etudiant domicilié 80, avenue de les ultimes doutes qui précèdent le départ. Il a
Larroumès, L’haÿ-les-Roses ”. dû lui aussi affronter le regard d’une mère
qu’on laisse pour longtemps, pour toujours
Dimanche 27 juin parfois. C’eût pu être son cas, en effet. Rogerie
Après Cahors et son fameux pont, le paysage appartient à la catégorie de ceux qui ont été
austère et rocailleux jusqu’alors, fait place à la arrêtés à la frontière franco-espagnole par les
plaine richement cultivée de Montauban. autorités allemandes et qui ont été expédiés
Arrivé à Toulouse à 8h 30 pour prendre la dans les camps de la mort.
correspondance pour Pau à 9 h. Deuxième
émotion : contrôle français. Il s’agit de L’heure est enfin arrivée d’agir et je décide de
gendarmes qui se bornent à vérifier nos me rendre le dimanche soir chez moi pour
papiers d’identité, nous demandant sans annoncer à ma mère la détermination que j’ai
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conserve qui nous seront bien utiles. A (réponses : “ saluer une vieille tante qui vit à
nouveau, oncle Pierre, puis oncle Jean (qui Lourdes ”) et qui ne sont sûrement pas dupes
nous remet une médaille de la vierge). Gaston quant à nos véritables intentions. Arrivée à
Decoop, se trouve à la maison l’après-midi. Pau à 12h.30. Après un frugal repas, nous
Maman prépare nos sacs : pour chacun, un retrouvons, à l’heure dite, place de Verdun,
chandail, 2 chemises, 2 caleçons, 2 paires de Madame B. qui nous confie à X (dont nous
chaussettes, 2 pantalons + sucre, biscuits, une saurons qu’il était guide au château des
fiole de rhum. Pénibles adieux à 17 heures. Albrets, souvenir d’Henri IV) et poète à ses
Pauvre maman criant son chagrin et dont nous heures. Longue marche, à distance
apercevons une dernière fois le visage labouré respectable les uns des autres afin d’éviter
à la fenêtre. Léonard fond en larmes. Papa d’attirer l’attention, et nous arrivons au terme
maîtrise difficilement son émotion ; ses de notre première étape : la “ Casilda ”,
derniers mots : “ Je suis sûr que notre bonne demeure de la famille Richard, dans la
maman vous guidera le long du chemin ”. Il banlieue de Pau. La mère de Madame Richard,
faut partir. Oncle Pierre nous accompagne personne exquise, d’une rare distinction, nous
jusqu’à la gare d’Austerlitz. Surprise ! Gaston accueille et nous installe dans une véranda
Decoop surgit, tout essoufflé, tenant en main située derrière la maison, du côté opposé à la
la bicyclette avec laquelle il vient de parcourir rue. Des consignes d’extrême prudence nous
la distance L’Haÿ-les-Roses/Austerlitz, pour sont données, consignes que nous
nous remettre un colis de provisions que, dans observerons à la lettre, d’autant plus qu’un
le trouble des adieux, nous avions oublié. Sur poste allemand se trouve à une centaine de
le quai, grâce au signal convenu (journal X mètres de la Casilda.
tenu dans la main gauche), nous rencontrons
Madame B... qui nous remet les billets et nous Le départ hors de France, vers l’inconnu, et en
signale que trois autres personnes seront du vue d’une entreprise risquée qui peut très bien
voyage ; rendez-vous, enfin, nous est donné mal finir, est généralement producteur
pour le lendemain, place de Verdun à Pau. d’angoisse. L’exil est peut-être au bout du
Départ du train vers 20h.20. Dans notre chemin. Chaque candidat a ressenti ce vertige,
compartiment, des gens sympathiques, des quel que soit son âge et sa situation. Pour les
Français de tous les jours, les uns de Calais, les plus jeunes –qui sont la majorité-
autres de Cahors. A l’arrêt en gare de Vierzon, l’expatriation, ne serait-ce que touristique, est
première émotion : contrôle allemand. Tout souvent une première expérience qui ajoute à
se passe bien et pourtant, nous n’avons pas de la dramatisation du départ. Un jeune Saint-
fausses cartes d’identité ! les nôtres portent la Cyrien (futur général) André Rogerie, a connu
mention : “ Etudiant domicilié 80, avenue de les ultimes doutes qui précèdent le départ. Il a
Larroumès, L’haÿ-les-Roses ”. dû lui aussi affronter le regard d’une mère
qu’on laisse pour longtemps, pour toujours
Dimanche 27 juin parfois. C’eût pu être son cas, en effet. Rogerie
Après Cahors et son fameux pont, le paysage appartient à la catégorie de ceux qui ont été
austère et rocailleux jusqu’alors, fait place à la arrêtés à la frontière franco-espagnole par les
plaine richement cultivée de Montauban. autorités allemandes et qui ont été expédiés
Arrivé à Toulouse à 8h 30 pour prendre la dans les camps de la mort.
correspondance pour Pau à 9 h. Deuxième
émotion : contrôle français. Il s’agit de L’heure est enfin arrivée d’agir et je décide de
gendarmes qui se bornent à vérifier nos me rendre le dimanche soir chez moi pour
papiers d’identité, nous demandant sans annoncer à ma mère la détermination que j’ai
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