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t me recevoir. Arrivé à Angles à 9 heures, je nous révolter ? Mais que pouvions nous faire
trouve à dîner à l’hôtel du Lion d’or, mais il ne ! Ne pas nous laisser prendre au jeu d’une
reste plus de chambre. J’en obtiens une chez propagande insidieuse, essayer de faire
une brave femme, la mère B. dont j’ai vite fait comprendre aux autres la vérité. C’était bon
de faire la conquête. pour le début. Les organisations de résistance
: des hommes splendides mais un combat qui
Un étudiant, Claude Morisseau, quitte n’était pas fait pour mes goûts.
clandestinement la France en juillet 1943.
Après un séjour prolongé en Espagne, il réussit Depuis 1940 je préparais le concours de la
à rejoindre l'Afrique du Nord, un an après. A Baille, j’avais une vocation tardive mais
Casablanca, dans l’attente d’une affectation, il indéracinable. Pourtant la Marine était passée
consigne sur un petit agenda l'histoire de son sous le contrôle de Pétain. Mais combien de
périple. Pour ce jeune étudiant, la décision de temps cela durerait-il ? Je croyais dès 40 que
tout quitter et d’accepter un risque majeur, au les alliés seraient vainqueurs et c’était pour
nom de ses idées, est comme l'étape d'un rite nous la seule solution viable. Pendant
du passage à l'âge adulte. Pour la première longtemps nous avons attendu cette victoire
fois, il doit faire face à la question difficile et qui de jour en jour paraissait de plus en plus
grisante de l'engagement, de la improbable. Au début de 1942 ma résolution
responsabilité. Mais pour la première fois était prise ; je me battrais dans les rangs de la
aussi, il se trouve bien seul face à la question Marine de la France Libre. Très beau à dire.
de son devoir. Il constate, avec amertume lui
aussi, que ses amis et camarades d’alors ne Février 42 : premières recherches. Je n’avais
partagent pas forcément ses idées. Chacun a eu aucune activité militaire. De vaines
son idée du devoir, et tous n’ont pas le même démarches suivirent. En juillet 1943,
courage. Première grande déception. j’abandonnais la préparation à Navale. Le
serment au Maréchal félon attendait les élus.
[...] Il faut que je revienne en arrière d'un an Je ne devais pas être de ceux-là. En octobre
pour évoquer cette date du 27 juillet 1943 qui 43, j’entrais aux cours de la Marine
est certainement un des grands jours de ma Marchande. Mon espoir : je serais marin
vie. 27 juillet 43 : j'avais 20 ans, cette année quand même. Dans un an je naviguerais et il y
aurait dû être belle et joyeuse. Elle ne pouvait aurait peut-être alors moyen de rejoindre les
pas, elle ne devait pas l'être. Depuis le 3 forces de la vraie France. On parlait aussi de
septembre 1939, nous étions en guerre, reprendre après la guerre dans la “ Royale ”
depuis le 25 juin 1940 nous étions vaincus. des jeunes de la Marine Marchande, faible
Non, nous ne l'étions pas moralement car espoir il est vrai, mais qui valait la peine d’être
nous n'avions pas un esprit de vaincus, nous exploité. Encore une année de vaines
avions un esprit de lutte et de vengeance, car promesses de départ. C’est à l’école de
nous désirions avec ardeur laver le crime. [...] l’avenue de Ségur que je connus D., un
J’étais à Paris. Mais la situation matérielle camarade épatant alors, un ami que je ne
était horrible. 3 ans de privations, 3 ans pourrais oublier maintenant. Tous les deux
d’oppression, 3 ans de massacres, de tyrannie, nous avions le même but. Lui n’avait pas le
de combats clandestins. Les boches qui même fanatisme que moi pour la Royale mais
souillaient notre terre, que nous affections de comme moi il désirait se battre.
ne pas voir avec nos yeux mais dont notre
cœur ne pouvait oublier l’outrage. Voir 1943 fut une année sombre. La zone sud fut
chaque jour ces faces brutales, cette morgue, envahie, la flotte se saborda à Toulon.
cette sournoiserie, n’y avait-il pas là de quoi Heureusement notre empire entra dans la
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trouve à dîner à l’hôtel du Lion d’or, mais il ne ! Ne pas nous laisser prendre au jeu d’une
reste plus de chambre. J’en obtiens une chez propagande insidieuse, essayer de faire
une brave femme, la mère B. dont j’ai vite fait comprendre aux autres la vérité. C’était bon
de faire la conquête. pour le début. Les organisations de résistance
: des hommes splendides mais un combat qui
Un étudiant, Claude Morisseau, quitte n’était pas fait pour mes goûts.
clandestinement la France en juillet 1943.
Après un séjour prolongé en Espagne, il réussit Depuis 1940 je préparais le concours de la
à rejoindre l'Afrique du Nord, un an après. A Baille, j’avais une vocation tardive mais
Casablanca, dans l’attente d’une affectation, il indéracinable. Pourtant la Marine était passée
consigne sur un petit agenda l'histoire de son sous le contrôle de Pétain. Mais combien de
périple. Pour ce jeune étudiant, la décision de temps cela durerait-il ? Je croyais dès 40 que
tout quitter et d’accepter un risque majeur, au les alliés seraient vainqueurs et c’était pour
nom de ses idées, est comme l'étape d'un rite nous la seule solution viable. Pendant
du passage à l'âge adulte. Pour la première longtemps nous avons attendu cette victoire
fois, il doit faire face à la question difficile et qui de jour en jour paraissait de plus en plus
grisante de l'engagement, de la improbable. Au début de 1942 ma résolution
responsabilité. Mais pour la première fois était prise ; je me battrais dans les rangs de la
aussi, il se trouve bien seul face à la question Marine de la France Libre. Très beau à dire.
de son devoir. Il constate, avec amertume lui
aussi, que ses amis et camarades d’alors ne Février 42 : premières recherches. Je n’avais
partagent pas forcément ses idées. Chacun a eu aucune activité militaire. De vaines
son idée du devoir, et tous n’ont pas le même démarches suivirent. En juillet 1943,
courage. Première grande déception. j’abandonnais la préparation à Navale. Le
serment au Maréchal félon attendait les élus.
[...] Il faut que je revienne en arrière d'un an Je ne devais pas être de ceux-là. En octobre
pour évoquer cette date du 27 juillet 1943 qui 43, j’entrais aux cours de la Marine
est certainement un des grands jours de ma Marchande. Mon espoir : je serais marin
vie. 27 juillet 43 : j'avais 20 ans, cette année quand même. Dans un an je naviguerais et il y
aurait dû être belle et joyeuse. Elle ne pouvait aurait peut-être alors moyen de rejoindre les
pas, elle ne devait pas l'être. Depuis le 3 forces de la vraie France. On parlait aussi de
septembre 1939, nous étions en guerre, reprendre après la guerre dans la “ Royale ”
depuis le 25 juin 1940 nous étions vaincus. des jeunes de la Marine Marchande, faible
Non, nous ne l'étions pas moralement car espoir il est vrai, mais qui valait la peine d’être
nous n'avions pas un esprit de vaincus, nous exploité. Encore une année de vaines
avions un esprit de lutte et de vengeance, car promesses de départ. C’est à l’école de
nous désirions avec ardeur laver le crime. [...] l’avenue de Ségur que je connus D., un
J’étais à Paris. Mais la situation matérielle camarade épatant alors, un ami que je ne
était horrible. 3 ans de privations, 3 ans pourrais oublier maintenant. Tous les deux
d’oppression, 3 ans de massacres, de tyrannie, nous avions le même but. Lui n’avait pas le
de combats clandestins. Les boches qui même fanatisme que moi pour la Royale mais
souillaient notre terre, que nous affections de comme moi il désirait se battre.
ne pas voir avec nos yeux mais dont notre
cœur ne pouvait oublier l’outrage. Voir 1943 fut une année sombre. La zone sud fut
chaque jour ces faces brutales, cette morgue, envahie, la flotte se saborda à Toulon.
cette sournoiserie, n’y avait-il pas là de quoi Heureusement notre empire entra dans la
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