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sistance. Mais la déportation des laquelle nous voulons participer et qui est
travailleurs puis des jeunes commença. La maintenant notre premier but.
situation devenait intenable. Au début de juin
1943, Bernard (mon frère) partit pour 27 juillet 1943. Je m’arrache à ma famille
l’Espagne. Mon seul désir était de le suivre, 19h35, adieux brefs, volontairement un peu
nous le savions passé dans le camp de durs de ma part. L’attendrissement est pour
Miranda. A Paris, chez nous, l’énervement plus tard. Cela peut sembler peu de chose
croissait, les affaires allaient de plus en plus mais nous partons vers l’inconnu complet.
mal. Fin juin je passais l’écrit de l’examen de la Nous laissons derrière nous tout ce qui nous
Marine Marchande, vers le 15 juillet l’oral est cher. Que trouverons-nous là-bas ? Je
commença. C’était le cadet de mes soucis. Peu retrouve D. à la gare d’Austerlitz. A 9 h ½ du
après, le 24 juillet D. trouva “ le filon ” pour soir le train part, Paris s’éloigne. A bientôt.
passer la frontière espagnole. C’était peu sûr
mais faute de grives... Le 26 juillet je fis mes Eté 1943. Etienne Schricke est interné à la
derniers préparatifs et le 27 juillet prison de Pampelune. Comme d’autres, pour
appareillage pour la grande aventure. tromper l’ennui, il trouve un crayon et un
papier de médiocre qualité sur lequel il écrit ce
Des dangers, nous allions en courir, nous le qui lui est arrivé. Il se souvient avec une
savions. Déjà, on parlait de garçons arrêtés sur certaine émotion du moment où il a fallu
la frontière. Mais avec de la chance, nous quitter son travail et sa famille. “ Pénibles
devions passer. Pourquoi n’en partait-il pas adieux ”, lorsqu’il faut laisser sa mère déchirée
plus ? De mes amis, tous des gaullistes par le chagrin, sa mère qui a connu
cependant, seul Henry R. était passé peu de l’occupation allemande en Belgique, lors d’une
temps avant. D’autres (H., S., L.) avaient réussi autre guerre, et son père, fantassin, qui a fait
auparavant. Mais S., P., B., qu’attendez-vous ? Verdun, le Chemin des Dames et l’Italie, et a
T. et P., ne pouvait-on pas attendre cela de laissé un bras en juillet 1918. Deux
vous ? Que faites-vous en ce moment ? générations, deux guerres. Cette sinistre
N’êtes-vous pas pieds et poings liés, fatalité de la guerre arrache des larmes aux
incapables de prendre part à notre lutte ? parents qui voient partir leur fils.
Quand je suis parti vous vous prépariez à
partir en Allemagne, ou bien, non Vendredi 25 juin 1943
réquisitionnables vous attendiez... qu’il soit Je vais à Alfort (Ecole nationale vétérinaire)
trop tard ? Ne sentiez-vous pas que dans la vie passer un examen qui est remis au lendemain.
il y a des décisions brutales à prendre ? Nos Retour à la maison. De la cuisine, j’observe le
pensées étaient communes, notre fraternité va-et-vient des gobes mouches de l’acacia
était grande. Toi aussi, S., qui était plus jeune nourrissant les petits. Vers 18 heures, retour
en âge sinon en esprit. Que faites-vous ? Le de mon frère Jacques qui n’annonce notre
destin nous a séparé. Quand et comment nous départ pour demain soir. Première étape, Pau
retrouverons-nous ? Je pense maintenant à via Toulouse. Choc pour notre mère chérie. Je
mes parents qui sont encore sous le joug de file chez nos amis Decoop chercher le
l’oppresseur. Pas un jour ne s’est écoulé sans complément d’argent nécessaire pour
que mes pensées aillent vers eux. Bientôt, rétribuer les guides-passeurs.
j’aurai la joie immense, la joie indicible de les
revoir après cette dure épreuve. Mais pour Samedi 26 juin
l’instant, toute notre volonté doit se Oncle Pierre arrive en début de matinée. Je
concentrer sur les mois à venir, sur cette lutte passe mon dernier examen à Alfort. Tante
sans merci qui s’est engagée sans nous mais à Loulou et Zette viennent à midi nous
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travailleurs puis des jeunes commença. La maintenant notre premier but.
situation devenait intenable. Au début de juin
1943, Bernard (mon frère) partit pour 27 juillet 1943. Je m’arrache à ma famille
l’Espagne. Mon seul désir était de le suivre, 19h35, adieux brefs, volontairement un peu
nous le savions passé dans le camp de durs de ma part. L’attendrissement est pour
Miranda. A Paris, chez nous, l’énervement plus tard. Cela peut sembler peu de chose
croissait, les affaires allaient de plus en plus mais nous partons vers l’inconnu complet.
mal. Fin juin je passais l’écrit de l’examen de la Nous laissons derrière nous tout ce qui nous
Marine Marchande, vers le 15 juillet l’oral est cher. Que trouverons-nous là-bas ? Je
commença. C’était le cadet de mes soucis. Peu retrouve D. à la gare d’Austerlitz. A 9 h ½ du
après, le 24 juillet D. trouva “ le filon ” pour soir le train part, Paris s’éloigne. A bientôt.
passer la frontière espagnole. C’était peu sûr
mais faute de grives... Le 26 juillet je fis mes Eté 1943. Etienne Schricke est interné à la
derniers préparatifs et le 27 juillet prison de Pampelune. Comme d’autres, pour
appareillage pour la grande aventure. tromper l’ennui, il trouve un crayon et un
papier de médiocre qualité sur lequel il écrit ce
Des dangers, nous allions en courir, nous le qui lui est arrivé. Il se souvient avec une
savions. Déjà, on parlait de garçons arrêtés sur certaine émotion du moment où il a fallu
la frontière. Mais avec de la chance, nous quitter son travail et sa famille. “ Pénibles
devions passer. Pourquoi n’en partait-il pas adieux ”, lorsqu’il faut laisser sa mère déchirée
plus ? De mes amis, tous des gaullistes par le chagrin, sa mère qui a connu
cependant, seul Henry R. était passé peu de l’occupation allemande en Belgique, lors d’une
temps avant. D’autres (H., S., L.) avaient réussi autre guerre, et son père, fantassin, qui a fait
auparavant. Mais S., P., B., qu’attendez-vous ? Verdun, le Chemin des Dames et l’Italie, et a
T. et P., ne pouvait-on pas attendre cela de laissé un bras en juillet 1918. Deux
vous ? Que faites-vous en ce moment ? générations, deux guerres. Cette sinistre
N’êtes-vous pas pieds et poings liés, fatalité de la guerre arrache des larmes aux
incapables de prendre part à notre lutte ? parents qui voient partir leur fils.
Quand je suis parti vous vous prépariez à
partir en Allemagne, ou bien, non Vendredi 25 juin 1943
réquisitionnables vous attendiez... qu’il soit Je vais à Alfort (Ecole nationale vétérinaire)
trop tard ? Ne sentiez-vous pas que dans la vie passer un examen qui est remis au lendemain.
il y a des décisions brutales à prendre ? Nos Retour à la maison. De la cuisine, j’observe le
pensées étaient communes, notre fraternité va-et-vient des gobes mouches de l’acacia
était grande. Toi aussi, S., qui était plus jeune nourrissant les petits. Vers 18 heures, retour
en âge sinon en esprit. Que faites-vous ? Le de mon frère Jacques qui n’annonce notre
destin nous a séparé. Quand et comment nous départ pour demain soir. Première étape, Pau
retrouverons-nous ? Je pense maintenant à via Toulouse. Choc pour notre mère chérie. Je
mes parents qui sont encore sous le joug de file chez nos amis Decoop chercher le
l’oppresseur. Pas un jour ne s’est écoulé sans complément d’argent nécessaire pour
que mes pensées aillent vers eux. Bientôt, rétribuer les guides-passeurs.
j’aurai la joie immense, la joie indicible de les
revoir après cette dure épreuve. Mais pour Samedi 26 juin
l’instant, toute notre volonté doit se Oncle Pierre arrive en début de matinée. Je
concentrer sur les mois à venir, sur cette lutte passe mon dernier examen à Alfort. Tante
sans merci qui s’est engagée sans nous mais à Loulou et Zette viennent à midi nous
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