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riant et reprendra d’un pas raffermi la C'est à vous, chers compagnons de Lérida, que
route du destin. je veux m'adresser aujourd'hui. Tous les
Français actuellement à Rocallaura sont
Vous vous êtes laissé entraîner par “ la petite passés par vos épreuves et nous savons tous
fille de l’espérance ” de Péguy qui mène la ce que peut avoir de pénible votre douloureux
danse d’une course allègre, vous avez imaginé séjour, sans même parler des questions
votre retour au pays libre et vous avez senti matérielles. Cependant, n'oubliez jamais que
une bouffée de joie vous monter malgré tout vous n'êtes pas seuls dans votre souffrance :
au cœur : instant béni et qui donne le courage d'autres sont aujourd'hui en Espagne dans des
d’attendre. Entretenez en vous la flamme de prisons dont le régime est plus sévère ;
fierté, d’espérance et d’union qu’a ravivée ce d'autres sont exilés dans un pays ennemi ;
14 juillet d’exil. Préparez-vous en esprit aux ceux-là mêmes qui restent en France
taches qui seront les vôtres demain : “ Haut connaissent les privations et les terribles
les cœurs ” ! bombardements de la guerre ; les plus
heureux tombent au champ d'honneur pour la
Celui que les internés ont élu comme leur libération du territoire.
délégué prend très au sérieux la mission qui lui
est confiée. Le chef de groupe, souvent appelé Pour vous, et je reprendrai ici les admirables
“ cabo ”, est souvent un homme plus âgé que paroles de notre chef de province, Monsieur
la moyenne des évadés, parfois un officier, Scherer, il faut que ce séjour en prison soit
toujours doté d’un certain charisme. C’est par considéré comme une sorte de retraite, une
lui qu’une parole collective peut exister. C’est pause avant le combat. Cette pause, vous la
par lui que peut s’exprimer l’exigence de consacrerez à un examen de conscience : il
cohésion, le devoir de solidarité ou le rappel de faut penser la guerre, il faut penser la France.
l’idéal, que la vie carcérale et la course au Ayez tous du courage : souriez quand même,
départ peuvent faire oublier. Dans le ne vous laissez pas abattre par la tristesse de
“ journal ” du balnéario de Racaullaura, La clé certaines heures, vous aurez du courage et
des champs, le “ cabo ” Jean Vidal s’adresse à vous ferez bien la guerre, mais vous voudrez
ses concitoyens qui n’ont pas eu la chance de aussi la paix et vous la placerez au-dessus de
sortir de la prison de Lérida pour rejoindre la guerre. “ Avoir du courage, c'est aller à
Racaullaura ; mais, indirectement, son l'idéal et comprendre le réel ” (Jaurès). Restez
message est destiné aussi aux internés du tous amis, serrez-vous autour de votre chef
balnéario qu’il représente. S’ils sont presque sans écouter de mauvais conseils ou de
arrivés au terme de la mésaventure détestables racontars ; surtout, pas de
espagnole, cela ne les dispense pas de penser mesquineries ; gardez votre fierté ; songez
à ceux qui croupissent encore dans des lieux que vous représentez la France et vous serez
plus difficiles. A ceux-ci, Vidal leur consacre orgueilleux pour elle, sinon pour vous. Soyez
une page fort émouvante. Et, chemin faisant, “ fous de hauteur ”, comme dit Montherlant.
il plaide pour que chaque évadé garde en lui et Ne vous laissez pas entraîner à proposer de
dans ses rapports avec les autres le sens ultime honteux marchés à vos camarades ; ne vous
de son aventure et regarde les épreuves abaissez pas à traiter sur leur misérable
endurées avec “ hauteur ”. L’internement doit condition. Nous, nous l'avons trop vu. De
être regardé, selon lui, comme une pause dont toutes les occasions dont vous ne profiterez
on doit tirer parti pour procéder à un “ examen pas dans le monde visible aussi bien
de conscience ”. qu'invisible, vous vous bâtirez des cathédrales
de diamant.
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route du destin. je veux m'adresser aujourd'hui. Tous les
Français actuellement à Rocallaura sont
Vous vous êtes laissé entraîner par “ la petite passés par vos épreuves et nous savons tous
fille de l’espérance ” de Péguy qui mène la ce que peut avoir de pénible votre douloureux
danse d’une course allègre, vous avez imaginé séjour, sans même parler des questions
votre retour au pays libre et vous avez senti matérielles. Cependant, n'oubliez jamais que
une bouffée de joie vous monter malgré tout vous n'êtes pas seuls dans votre souffrance :
au cœur : instant béni et qui donne le courage d'autres sont aujourd'hui en Espagne dans des
d’attendre. Entretenez en vous la flamme de prisons dont le régime est plus sévère ;
fierté, d’espérance et d’union qu’a ravivée ce d'autres sont exilés dans un pays ennemi ;
14 juillet d’exil. Préparez-vous en esprit aux ceux-là mêmes qui restent en France
taches qui seront les vôtres demain : “ Haut connaissent les privations et les terribles
les cœurs ” ! bombardements de la guerre ; les plus
heureux tombent au champ d'honneur pour la
Celui que les internés ont élu comme leur libération du territoire.
délégué prend très au sérieux la mission qui lui
est confiée. Le chef de groupe, souvent appelé Pour vous, et je reprendrai ici les admirables
“ cabo ”, est souvent un homme plus âgé que paroles de notre chef de province, Monsieur
la moyenne des évadés, parfois un officier, Scherer, il faut que ce séjour en prison soit
toujours doté d’un certain charisme. C’est par considéré comme une sorte de retraite, une
lui qu’une parole collective peut exister. C’est pause avant le combat. Cette pause, vous la
par lui que peut s’exprimer l’exigence de consacrerez à un examen de conscience : il
cohésion, le devoir de solidarité ou le rappel de faut penser la guerre, il faut penser la France.
l’idéal, que la vie carcérale et la course au Ayez tous du courage : souriez quand même,
départ peuvent faire oublier. Dans le ne vous laissez pas abattre par la tristesse de
“ journal ” du balnéario de Racaullaura, La clé certaines heures, vous aurez du courage et
des champs, le “ cabo ” Jean Vidal s’adresse à vous ferez bien la guerre, mais vous voudrez
ses concitoyens qui n’ont pas eu la chance de aussi la paix et vous la placerez au-dessus de
sortir de la prison de Lérida pour rejoindre la guerre. “ Avoir du courage, c'est aller à
Racaullaura ; mais, indirectement, son l'idéal et comprendre le réel ” (Jaurès). Restez
message est destiné aussi aux internés du tous amis, serrez-vous autour de votre chef
balnéario qu’il représente. S’ils sont presque sans écouter de mauvais conseils ou de
arrivés au terme de la mésaventure détestables racontars ; surtout, pas de
espagnole, cela ne les dispense pas de penser mesquineries ; gardez votre fierté ; songez
à ceux qui croupissent encore dans des lieux que vous représentez la France et vous serez
plus difficiles. A ceux-ci, Vidal leur consacre orgueilleux pour elle, sinon pour vous. Soyez
une page fort émouvante. Et, chemin faisant, “ fous de hauteur ”, comme dit Montherlant.
il plaide pour que chaque évadé garde en lui et Ne vous laissez pas entraîner à proposer de
dans ses rapports avec les autres le sens ultime honteux marchés à vos camarades ; ne vous
de son aventure et regarde les épreuves abaissez pas à traiter sur leur misérable
endurées avec “ hauteur ”. L’internement doit condition. Nous, nous l'avons trop vu. De
être regardé, selon lui, comme une pause dont toutes les occasions dont vous ne profiterez
on doit tirer parti pour procéder à un “ examen pas dans le monde visible aussi bien
de conscience ”. qu'invisible, vous vous bâtirez des cathédrales
de diamant.
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