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tin bascule. Son horizon immédiat ne sera le café des Arcades vers lequel je me dirige. Le
pas l’Allemagne, mais l’Espagne avant premier obstacle est sauté et ce dans un
l’Afrique. Dans son carnet intime, temps assez court. Je songe à la nuit qui va
remarquable de précision et de ponctualité, venir et m’enquiers d’une chambre qui
tenu tout au long de son périple jusqu’en m’oblige à quelques démarches, car toutes
Afrique, le jeune illégal note les conditions de sont occupées par les Allemands et les
son départ pour une longue aventure, travailleurs. Enfin, grâce à un brave cheminot
aventure qui commence… dans une gare. Ici, de la gare qui m’indique une adresse, je
c’est de la première phase qu’il s’agit. Trouver trouve chez une particulière une bonne
le lieu de passage adéquat, trouver le guide, chambre au centre de la ville. Je ne suis pas
trouver de quoi payer le guide (car si la liberté très rassuré de circuler dans la ville où à
n’a pas de prix, elle a un coût…) et trouver de chaque instant je croise autorités françaises et
l’énergie pour franchir une montagne sans allemandes. Je suis content de faire
pitié. connaissance avec la “ Grande bleue ”, qui par
sa couleur me surprend. J’en suis ravi. La ville
Vendredi 18 juin 1943. est dans l’ensemble assez agréable à visiter :
Mon départ est fixé pour ce soir au train de 20 seuls des fils de fer barbelés ôtent le charme
h à Paris-Austerlitz. Bien qu’arrivé une heure à de cette cité roussillonnaise. Après une
l’avance, le train est déjà plein. Je m’installe démarche infructueuse auprès du café des
néanmoins dans l’extrémité d’un wagon, près Arcades, je monte me coucher avec l’idée de
des soufflets. Trois jeunes gens sont dans mon repartir sur Toulouse le lendemain.
coin, et bientôt nous entrons en relation et
j’essaie de fuir les idées nostalgiques du Dimanche 20 juin.
départ : quitter ce qui vous est cher, fuir ce qui Port-Vendres. Une promenade sur les collines
constitue une partie de votre bonheur est attenantes au port me donne une idée de la
pénible. Nous sommes constamment grandeur du port dont le trafic est assez faible.
dérangés par les voyageurs qui passent et il Je dîne au café restaurant de Castellane et
est impossible de songer à sommeiller. A demande au restaurateur s’il ne connaîtrait
Limoges, monte une vingtaine de personnes, pas un guide pour passer la frontière. Il
entre autres une femme, Mme Alice, avec des m’assure qu’il en connaît un mais assez cher
paniers dans lesquels se trouvent des lapins et et le soir me met en relation avec celui qui
des canards. Son allure campagnarde nous deviendra “ mon guide ”. La somme est assez
amuse et pendant près de deux heures nous élevée (9 000 francs) : elle représente à peu
la taquinons. Cette brave femme prend près mon capital. Le soir, je songe pouvoir la
bientôt plaisir à nos railleries, tout en voulant fournir en vendant quelques pièces de linge.
conserver son air fâché.
Lundi 21 juin.
19 juin. La question pécuniaire me préoccupe et l’idée
J’arrive à Perpignan à onze heures ½ et dîne de vendre une paire de chaussettes que m’ont
dans un restaurant près de la gare en fabriquées avec ardeur ma mère et Odette me
attendant l’heure du train omnibus qui me fait reculer devant la faible somme qu’on
conduira à Port-Vendres. Le chef de ce train m’en propose (79 f.). Le mieux est de
est très sympathique et me donne quelques marchander. Ne devant rencontrer mon guide
conseils pour le passage de la zone. Ma joie et que le soir assez tard, je fais connaissance
extrême quand, sur le quai de la gare, aucune avec une petite plage en dehors de la ville :
visite n’est faite. J’arrive à Port-Vendres vers petite baie étroite où des baigneurs prennent
15 heures 30 et à mon grand plaisir j’aperçois plaisir à s’ébattre dans un cadre pittoresque

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