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emande (particulièrement le instants s’écoulent, nous attendons,
angoissés. Il revient et nous donne ses
Zollgrenzschutz), qui sont nombreux (plus de 3 instructions : “ Il faut avancer en s’agrippant
aux rochers, marcher doucement dans les pas
000) et qui n’hésitent pas à arrêter et à l’un de l’autre ”. Marcel, dont le pied a glissé
et qui s’est rattrapé juste à temps, a vu le vide
déporter les candidats à l’évasion. Mais, cette en dessous de lui et son sang s’est glacé. Le
guide nous dira un peu plus tard qu’en plein
frontière étant aussi une chaîne montagneuse, jour, jamais il n’aurait osé nous aventurer le
long de cette muraille…
le danger peut venir d’une nature qui
Nous grimpons maintenant dans le lit d’un
représente un péril extrême pour des hommes torrent, c’est une véritable escalade.
L’obscurité est telle que le guide hésite et
non endurcis ou fatigués, notamment l’hiver. tâtonne. Nous nous sommes engagés dans
une impasse. Il faut faire demi-tour. Nous
La montagne est le premier obstacle physique finissons par trouver un passage. La montée
est longue, raide ; nous prenons de la hauteur.
à surmonter. Un obstacle qui est un espoir. Ce Peu à peu, avec le jour qui se lève, la
montagne sort de l’ombre et se dresse devant
n’est pas une moindre affaire, certains en sont nous, écrasante. Nous paraissons minuscules
au flanc de cette masse énorme, encadrée
morts. Montagne de l’espoir tout autant que elle-même de deux sommets plus imposants
encore qui montent puissamment dans le ciel.
montagne de l’angoisse, telle est l’impression Aux premiers rayons de soleil, nous sommes à
même de mesurer le chemin parcouru. Finis la
qu’exprime bien le séminariste Jean Delva. forêt, les pâturages, les granges, c’est
maintenant la haute montagne.
Quand nous nous mettons en route, une
légère brume s’étend sur la montagne. Les Les Pyrénées sont là, devant nous, chaîne
premiers moments sont pénibles. La fatigue usée, ravinée, grignotée, dont les débris
réapparaît, les jambes font mal mais il faut descendent en cascades de rochers informes,
vaincre. Le souvenir du malheureux en éboulis de pierres et de graviers. Des pics,
abandonné le matin même nous stimule. des aiguilles, aux arêtes fines, aux lignes
Heureusement, les sacs se sont allégés ; audacieuses attestent encore sa splendeur
chacun a son bâton, nous restons à peu près passée. Un cataclysme effrayant semble
groupés… Le brouillard s’épaissit de plus en l’avoir ébranlée aux temps géologiques puis
plus. On n’y voit plus deux mètres devant soi. cette chute vertigineuse se serait figée tout
Le guide s’arrête : “ Vous allez vous tuer ”. d’un coup. De gros blocs ça-et-là, arrêtés dans
Nous nous allongeons. Il ne fait pas chaud leur cours, surplombent encore le vide et l’on
mais cette longue halte nous repose. Quand je dirait qu’ils vont se remettre d’un instant à
rouvre les yeux, quelques étoiles scintillent au l’autre à rouler dans l’abîme. Et maintenant,
ciel. Nous repartons. La nuit est moins claire ce n’est plus qu’un monde chaotique, âpre,
que la veille. Une heure de marche… sauvage, dont la grandeur fait seule la beauté.
Il n’est que les petits lacs où se mire tout le
Nous atteignons la route des cols : Soulor et bleu du ciel et des traînées de neige pour
Aubisque. Des patrouilles allemandes y apaiser un peu ce relief tourmenté. Debout,
circulent régulièrement en moto, il faut être
prudent. De plus l’écho répercute
indéfiniment le moindre bruit ; un faux pas,
une pierre qui roule et toute la montagne
retentit. Notre homme attend une minute, à
l’écoute… Au signal, nous traversons la route
sur la pointe des pieds ; nous nous éloignons
rapidement de ces lieux mal famés. Puis la
marche reprend, régulière, des heures durant.
Nous sommes exténués ; le froid seul nous
tient éveillés. Nous montons sensiblement.
Soudain le guide se retourne et demande nos
bâtons. Il s’enfonce dans la nuit… Quelques
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angoissés. Il revient et nous donne ses
Zollgrenzschutz), qui sont nombreux (plus de 3 instructions : “ Il faut avancer en s’agrippant
aux rochers, marcher doucement dans les pas
000) et qui n’hésitent pas à arrêter et à l’un de l’autre ”. Marcel, dont le pied a glissé
et qui s’est rattrapé juste à temps, a vu le vide
déporter les candidats à l’évasion. Mais, cette en dessous de lui et son sang s’est glacé. Le
guide nous dira un peu plus tard qu’en plein
frontière étant aussi une chaîne montagneuse, jour, jamais il n’aurait osé nous aventurer le
long de cette muraille…
le danger peut venir d’une nature qui
Nous grimpons maintenant dans le lit d’un
représente un péril extrême pour des hommes torrent, c’est une véritable escalade.
L’obscurité est telle que le guide hésite et
non endurcis ou fatigués, notamment l’hiver. tâtonne. Nous nous sommes engagés dans
une impasse. Il faut faire demi-tour. Nous
La montagne est le premier obstacle physique finissons par trouver un passage. La montée
est longue, raide ; nous prenons de la hauteur.
à surmonter. Un obstacle qui est un espoir. Ce Peu à peu, avec le jour qui se lève, la
montagne sort de l’ombre et se dresse devant
n’est pas une moindre affaire, certains en sont nous, écrasante. Nous paraissons minuscules
au flanc de cette masse énorme, encadrée
morts. Montagne de l’espoir tout autant que elle-même de deux sommets plus imposants
encore qui montent puissamment dans le ciel.
montagne de l’angoisse, telle est l’impression Aux premiers rayons de soleil, nous sommes à
même de mesurer le chemin parcouru. Finis la
qu’exprime bien le séminariste Jean Delva. forêt, les pâturages, les granges, c’est
maintenant la haute montagne.
Quand nous nous mettons en route, une
légère brume s’étend sur la montagne. Les Les Pyrénées sont là, devant nous, chaîne
premiers moments sont pénibles. La fatigue usée, ravinée, grignotée, dont les débris
réapparaît, les jambes font mal mais il faut descendent en cascades de rochers informes,
vaincre. Le souvenir du malheureux en éboulis de pierres et de graviers. Des pics,
abandonné le matin même nous stimule. des aiguilles, aux arêtes fines, aux lignes
Heureusement, les sacs se sont allégés ; audacieuses attestent encore sa splendeur
chacun a son bâton, nous restons à peu près passée. Un cataclysme effrayant semble
groupés… Le brouillard s’épaissit de plus en l’avoir ébranlée aux temps géologiques puis
plus. On n’y voit plus deux mètres devant soi. cette chute vertigineuse se serait figée tout
Le guide s’arrête : “ Vous allez vous tuer ”. d’un coup. De gros blocs ça-et-là, arrêtés dans
Nous nous allongeons. Il ne fait pas chaud leur cours, surplombent encore le vide et l’on
mais cette longue halte nous repose. Quand je dirait qu’ils vont se remettre d’un instant à
rouvre les yeux, quelques étoiles scintillent au l’autre à rouler dans l’abîme. Et maintenant,
ciel. Nous repartons. La nuit est moins claire ce n’est plus qu’un monde chaotique, âpre,
que la veille. Une heure de marche… sauvage, dont la grandeur fait seule la beauté.
Il n’est que les petits lacs où se mire tout le
Nous atteignons la route des cols : Soulor et bleu du ciel et des traînées de neige pour
Aubisque. Des patrouilles allemandes y apaiser un peu ce relief tourmenté. Debout,
circulent régulièrement en moto, il faut être
prudent. De plus l’écho répercute
indéfiniment le moindre bruit ; un faux pas,
une pierre qui roule et toute la montagne
retentit. Notre homme attend une minute, à
l’écoute… Au signal, nous traversons la route
sur la pointe des pieds ; nous nous éloignons
rapidement de ces lieux mal famés. Puis la
marche reprend, régulière, des heures durant.
Nous sommes exténués ; le froid seul nous
tient éveillés. Nous montons sensiblement.
Soudain le guide se retourne et demande nos
bâtons. Il s’enfonce dans la nuit… Quelques
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