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e à cet univers nouveau, nous ne nous au risque de nous tuer. La peur nous donne
lassons pas d’admirer. […] des ailes. Il faut leur échapper. Husté-
Mirassou jette son sac. En un clin d’œil, nous
Depuis des heures, nous marchons ; nous sommes au fond de la cuvette… nous
marchons comme dans un rêve, nous grimpons, tête baissée. Nous forçons, nous
marchons parce qu’il faut marcher. Nous ne forçons. Je m’attends d’une seconde à l’autre
sentons plus nos jambes, nous avançons à entendre les balles siffler. La montée nous
machinalement. Le guide maintient une allure disperse. Le guide bondit, comme un chat, de
record, nous nous tordons les chevilles dans rocher en rocher ; il nous distance
les cailloux, un des gars de Paris est malade rapidement, il est déjà à mi-chemin de la
comme une bête. Il vomit à tout instant. Il crête, sa silhouette s’amenuise, il s’arrête
s’effondre parfois. “ Non, je n’en peux plus ”. pour hurler : “ Camouflez-vous… ils vont
Le guide est intraitable : “ Si tu n’avances pas, arriver ”. Non, nous continuons, nous
on te laisse ici… Tu ne t’en sortiras pas ”. Ses continuons jusqu’à l’extrême limite de nos
camarades le relèvent ; toute la matinée il se forces. A la fin, à bout de souffle, nous nous
traîne de la sorte. Les pauses sont courtes, le laissons tomber où nous sommes, dans un
temps d’attendre les retardataires ou de trou, sous les rochers… Plus rien ne bouge. Je
casser la croûte. Nous finissons par les n’en peux plus. Mon cœur bat à se rompre. Il
appréhender : pour repartir, il faut me fait mal dans la poitrine. Je suis
littéralement s’arracher aux rochers. complètement anéanti. Quand je pense à
retrouver mes esprits, ma première pensée
Le guide est d’une prudence extrême. Il sait est que nous sommes sauvés. La patrouille a
que la première balle est toujours pour dû passer à quelques centaines de mètres de
l’homme de tête. A chaque col ou passage, nos cachettes et s’engager dans une autre
débouchant sur une nouvelle ligne de crêtes, direction.
il fouille longuement à la jumelle les moindres
recoins de la montagne ? […] Il est inquiet : J’ouvre mon sac. Le guide avait raison, il nous
une patrouille a quitté le poste, il faut l’a assez dit, nous sommes trop chargés. Je me
attendre. Vingt minutes s’écoulent. Que va-t- résigne. Que c’est dur le détachement
il arriver ? Notre confiance dans cet homme complet ! Je balance dans une crevasse à mes
est entière, malgré son intransigeance et sa pieds du linge, quelques bricoles, un petit livre
dureté. Il a passé tant de monde déjà, un auquel je tenais beaucoup… […] Tout tourne
général, des officiers… La patrouille marche autour de moi. Je me sens tout d'un coup
dans notre direction : il faut prendre une infiniment las. Je résiste un moment mais il
décision. Il y a cent mètres de descente en faut m'allonger. Cela ne va pas du tout. Je
pleine vue des Allemands. Allons-nous les tombe en syncope. Le mal de la montagne
risquer ? L’Espagne est à six heures de nous ; après cette course folle et apeurée ?... Quoi
sinon il faut faire un détour important. A la qu'il en soit, quelques gorgées de whisky
grâce de Dieux, nous décidons de risquer. offertes par les Parisiens me font revenir à moi
Chacun s’apprête à foncer. Les six premiers et je mets longtemps, allongé, à récupérer.
disparaissent de l’autre côté. J’allais Pendant ce temps, les gars cherchent la moins
m’engager à mon tour, mais voici le guide et incommode de ces cavités ou abris qui
les gars qui nous bousculent, apeurés : “ Ils s'ouvrent ici et là dans le chaos des pierres. Il
nous ont vus… avant eux sur cette crête… vite, est temps. Un gros nuage descend rapidement
vite ”. Nous nous lançons à leur suite. Pendant de la crête où le guide a disparu. D'autres
dix minutes, c’est une fuite éperdue. Nous montent vers nous. Un épais brouillard nous
dévalons comme des fous, une pente terrible enveloppe. Avec lui, la nuit est venue et nous
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lassons pas d’admirer. […] des ailes. Il faut leur échapper. Husté-
Mirassou jette son sac. En un clin d’œil, nous
Depuis des heures, nous marchons ; nous sommes au fond de la cuvette… nous
marchons comme dans un rêve, nous grimpons, tête baissée. Nous forçons, nous
marchons parce qu’il faut marcher. Nous ne forçons. Je m’attends d’une seconde à l’autre
sentons plus nos jambes, nous avançons à entendre les balles siffler. La montée nous
machinalement. Le guide maintient une allure disperse. Le guide bondit, comme un chat, de
record, nous nous tordons les chevilles dans rocher en rocher ; il nous distance
les cailloux, un des gars de Paris est malade rapidement, il est déjà à mi-chemin de la
comme une bête. Il vomit à tout instant. Il crête, sa silhouette s’amenuise, il s’arrête
s’effondre parfois. “ Non, je n’en peux plus ”. pour hurler : “ Camouflez-vous… ils vont
Le guide est intraitable : “ Si tu n’avances pas, arriver ”. Non, nous continuons, nous
on te laisse ici… Tu ne t’en sortiras pas ”. Ses continuons jusqu’à l’extrême limite de nos
camarades le relèvent ; toute la matinée il se forces. A la fin, à bout de souffle, nous nous
traîne de la sorte. Les pauses sont courtes, le laissons tomber où nous sommes, dans un
temps d’attendre les retardataires ou de trou, sous les rochers… Plus rien ne bouge. Je
casser la croûte. Nous finissons par les n’en peux plus. Mon cœur bat à se rompre. Il
appréhender : pour repartir, il faut me fait mal dans la poitrine. Je suis
littéralement s’arracher aux rochers. complètement anéanti. Quand je pense à
retrouver mes esprits, ma première pensée
Le guide est d’une prudence extrême. Il sait est que nous sommes sauvés. La patrouille a
que la première balle est toujours pour dû passer à quelques centaines de mètres de
l’homme de tête. A chaque col ou passage, nos cachettes et s’engager dans une autre
débouchant sur une nouvelle ligne de crêtes, direction.
il fouille longuement à la jumelle les moindres
recoins de la montagne ? […] Il est inquiet : J’ouvre mon sac. Le guide avait raison, il nous
une patrouille a quitté le poste, il faut l’a assez dit, nous sommes trop chargés. Je me
attendre. Vingt minutes s’écoulent. Que va-t- résigne. Que c’est dur le détachement
il arriver ? Notre confiance dans cet homme complet ! Je balance dans une crevasse à mes
est entière, malgré son intransigeance et sa pieds du linge, quelques bricoles, un petit livre
dureté. Il a passé tant de monde déjà, un auquel je tenais beaucoup… […] Tout tourne
général, des officiers… La patrouille marche autour de moi. Je me sens tout d'un coup
dans notre direction : il faut prendre une infiniment las. Je résiste un moment mais il
décision. Il y a cent mètres de descente en faut m'allonger. Cela ne va pas du tout. Je
pleine vue des Allemands. Allons-nous les tombe en syncope. Le mal de la montagne
risquer ? L’Espagne est à six heures de nous ; après cette course folle et apeurée ?... Quoi
sinon il faut faire un détour important. A la qu'il en soit, quelques gorgées de whisky
grâce de Dieux, nous décidons de risquer. offertes par les Parisiens me font revenir à moi
Chacun s’apprête à foncer. Les six premiers et je mets longtemps, allongé, à récupérer.
disparaissent de l’autre côté. J’allais Pendant ce temps, les gars cherchent la moins
m’engager à mon tour, mais voici le guide et incommode de ces cavités ou abris qui
les gars qui nous bousculent, apeurés : “ Ils s'ouvrent ici et là dans le chaos des pierres. Il
nous ont vus… avant eux sur cette crête… vite, est temps. Un gros nuage descend rapidement
vite ”. Nous nous lançons à leur suite. Pendant de la crête où le guide a disparu. D'autres
dix minutes, c’est une fuite éperdue. Nous montent vers nous. Un épais brouillard nous
dévalons comme des fous, une pente terrible enveloppe. Avec lui, la nuit est venue et nous
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