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l’allumette. Et malgré tout ce décor, nous nous restons en cellule. Je m’installe avec mon
vivons en nous accoutumant à cette saleté, à sac et sors photos, carnets de notes. Je songe,
cette répugnance qui n’étonnent plus aucun tandis que les autres se rendorment, à la
de nous. France, à mes parents, amis, à la liberté
perdue. Le clairon sonne souvent mais pour
Sept heures sont annoncées par une les équipes de nettoyage, l’école etc… Vers
fanfaronnade de trompette : l’officier de neuf heures, c’est de nouveau l’appel.
service nous passe en revue et nous compte. L’officier, après avoir passé en revue les
Si la nuit avait permis une évasion ! Hélas, Espagnols et l’agglomération des Français
quelle chose impossible : sortir de cellule, dans les cours respectives, où le cri de
sortir dans la cour, franchir quatre grandes “ France ” se fait entendre, passe devant
portes en fer gardées de sentinelles ou sauter chaque cellule et nous compte de nouveau.
les murs de 4 et 5 mètres chacun entre Enfin nous sortons dans la cour.
lesquels se promènent soldats armés qui
s’appellent chaque quart d’heure et nous Nous sommes près de 400 dans la cour et il n’y
gênent dans notre sommeil : sentinella, alerta a guère d’espace pour se remuer ; je fais un
uno, alerta dos… etc… Derrière ces murs des tour dans tous les coins pour me dégourdir les
sentinelles encore dont on aperçoit le canon jambes, saluer les camarades, écouter les
du fusil quand la curiosité nous fait grimper à nouvelles du jour ou les bobards. Je prends
la lucarne. Qui tenterait de s’enfuir dans de ensuite ma leçon d’éducation physique d’un
telles conditions ? Les portes s’ouvrent, nous quart d’heure environ et saute au robinet me
nous mettons au garde à vous et nous nous passer la tête sous l’eau fraîche. Ensuite,
alignons afin que nos hommes nous comptent discussions, causeries, commentaires sur tout
rapidement. Bon, c’est fini ! Un prisonnier et rien ; je croise des joyeux et des cafardeux.
espagnol referme les portes derrière lui et Je tourne tout autour de la cour conversant
durant cinq minutes on entend des portes avec un camarade jusqu’à onze heures où le
claquer. clairon annonce le rassemblement. Nous nous
alignons assez nonchalamment et regagnons
Un nouveau coup de clairon annonce la soupe. nos cellules respectives. Nous chassons les
La cellule s’éveille alors. Les Espagnols dans la mouches à l’aide de serviettes et fermons la
cour reçoivent leur ration. Notre porte porte au coup de clairon. Chacun sort du
s’ouvre : nous passons le pantalon, et sortons “ carré ” où sont entassés toutes nos
derrière les autres camarades des cellules couvertures, nos habits, nos sacs, ce dont
voisines en file par un jusqu’à la marmite nous avons besoin et nous nous installons à
gigantesque devant laquelle quatre doubles nos places habituelles.
rangées s’alignent : cellules du haut, cellules
du bas, agglomération et travailleurs. Un coup C’est alors le moment le plus long de la
de clairon et une colonne s’avance vers la journée que d’attendre l’heure de la soupe à
marmite, se divise en deux, chaque colonne 13h30, car le petit déjeuner est déjà loin. Je
passant autour d’elle ; chacun y reçoit une prends mon livre d’espagnol et travaille les
louche de soupe : eau bouillie avec du pain (et exercices, tandis que les camarades jouent
parfois des haricots) et de l’extrait de viande aux dames, lisent et écrivent leurs mémoires.
ou d’os enfin peu importe ! Aujourd’hui, il n’y a pas de pain de Croix Rouge
et souvent nous achetons quelque chose à
Nous regagnons respectueusement nos l’économat afin de nous faire patienter. J’ai
cellules et avalons notre “ breakfast ”. Il est acheté 1 kg d’amandes pour trois et nous en
sept heures et demi. Jusqu’à neuf heures, mangeons quelques-unes. Chaque samedi
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vivons en nous accoutumant à cette saleté, à sac et sors photos, carnets de notes. Je songe,
cette répugnance qui n’étonnent plus aucun tandis que les autres se rendorment, à la
de nous. France, à mes parents, amis, à la liberté
perdue. Le clairon sonne souvent mais pour
Sept heures sont annoncées par une les équipes de nettoyage, l’école etc… Vers
fanfaronnade de trompette : l’officier de neuf heures, c’est de nouveau l’appel.
service nous passe en revue et nous compte. L’officier, après avoir passé en revue les
Si la nuit avait permis une évasion ! Hélas, Espagnols et l’agglomération des Français
quelle chose impossible : sortir de cellule, dans les cours respectives, où le cri de
sortir dans la cour, franchir quatre grandes “ France ” se fait entendre, passe devant
portes en fer gardées de sentinelles ou sauter chaque cellule et nous compte de nouveau.
les murs de 4 et 5 mètres chacun entre Enfin nous sortons dans la cour.
lesquels se promènent soldats armés qui
s’appellent chaque quart d’heure et nous Nous sommes près de 400 dans la cour et il n’y
gênent dans notre sommeil : sentinella, alerta a guère d’espace pour se remuer ; je fais un
uno, alerta dos… etc… Derrière ces murs des tour dans tous les coins pour me dégourdir les
sentinelles encore dont on aperçoit le canon jambes, saluer les camarades, écouter les
du fusil quand la curiosité nous fait grimper à nouvelles du jour ou les bobards. Je prends
la lucarne. Qui tenterait de s’enfuir dans de ensuite ma leçon d’éducation physique d’un
telles conditions ? Les portes s’ouvrent, nous quart d’heure environ et saute au robinet me
nous mettons au garde à vous et nous nous passer la tête sous l’eau fraîche. Ensuite,
alignons afin que nos hommes nous comptent discussions, causeries, commentaires sur tout
rapidement. Bon, c’est fini ! Un prisonnier et rien ; je croise des joyeux et des cafardeux.
espagnol referme les portes derrière lui et Je tourne tout autour de la cour conversant
durant cinq minutes on entend des portes avec un camarade jusqu’à onze heures où le
claquer. clairon annonce le rassemblement. Nous nous
alignons assez nonchalamment et regagnons
Un nouveau coup de clairon annonce la soupe. nos cellules respectives. Nous chassons les
La cellule s’éveille alors. Les Espagnols dans la mouches à l’aide de serviettes et fermons la
cour reçoivent leur ration. Notre porte porte au coup de clairon. Chacun sort du
s’ouvre : nous passons le pantalon, et sortons “ carré ” où sont entassés toutes nos
derrière les autres camarades des cellules couvertures, nos habits, nos sacs, ce dont
voisines en file par un jusqu’à la marmite nous avons besoin et nous nous installons à
gigantesque devant laquelle quatre doubles nos places habituelles.
rangées s’alignent : cellules du haut, cellules
du bas, agglomération et travailleurs. Un coup C’est alors le moment le plus long de la
de clairon et une colonne s’avance vers la journée que d’attendre l’heure de la soupe à
marmite, se divise en deux, chaque colonne 13h30, car le petit déjeuner est déjà loin. Je
passant autour d’elle ; chacun y reçoit une prends mon livre d’espagnol et travaille les
louche de soupe : eau bouillie avec du pain (et exercices, tandis que les camarades jouent
parfois des haricots) et de l’extrait de viande aux dames, lisent et écrivent leurs mémoires.
ou d’os enfin peu importe ! Aujourd’hui, il n’y a pas de pain de Croix Rouge
et souvent nous achetons quelque chose à
Nous regagnons respectueusement nos l’économat afin de nous faire patienter. J’ai
cellules et avalons notre “ breakfast ”. Il est acheté 1 kg d’amandes pour trois et nous en
sept heures et demi. Jusqu’à neuf heures, mangeons quelques-unes. Chaque samedi
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