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tout le moral qui est atteint par cette sources d’attention, outre l’obsession de la
claustration où le sentiment de sa propre nourriture : le temps qui passe, trop
inanité domine, comme le laisse apparaître ce lentement, et le temps qu’il fait, toujours trop
poème. Mais l’espoir est plus fort que le sort. chaud ou trop froid. Plus l’attente s’étire et
Le propre du résistant, c’est de ne pas croire à s’éternise, plus s’éveillent chez l’interné des
la fatalité. La nuit, quand on ne rêve pas aux sentiments qui fragilisent encore un peu plus
siens restés là-bas, quand on ne peste pas son âme débilitée par l’inaction et la
contre l’inconfort, les autres et les punaises, on promiscuité : la nostalgie, l’inquiétude du sort
imagine les batailles futures et il arrive qu’on de ceux qu’on a quittés, le désir de savoir ce
s’imagine de retour sur la terre natale nimbé qui se passe au-delà de cet univers claustral et
du prestige du vainqueur et oublieux des cette péninsule ibérique.
rancœurs accumulées.
Le besoin d’écrire que ressentent les internés
Celda 292 participe, semble-t-il, de cette lutte contre ce
temps immobile qu’aucun événement ne vient
Du haut de l'espérance au fond de la prison, scander. Le journal intime, tout
Ramenés tous les sept en la cellule étroite, particulièrement, apparaît comme une
Pendant plus de 20 jours leurs yeux et âmes tentative désespérée pour poser de frêles
jalons dont la vocation est de conjurer la
droites monotonie d’un temps où rien ne se passe.
Eurent les murs lépreux en guise d'horizon. Nous avions quitté Robert Basquin au moment
où il mettait le pied sur le sol espagnol. Nous
Encore tout animés de leurs belles raisons le retrouvons à la prison de Figuéras.
Ils purent supporter le règlement austère,
Des Rouges espagnols subirent la misère Dimanche 4 juillet 1943.
Et leurs corps exposées perdirent leur toison. C’est le deuxième dimanche que nous passons
dans cette prison de Figuéras. Pour la
Et la nuit en rêvant aux batailles prochaines première fois, nous avons assisté à la messe
Ils voyaient défiler en des ombres lointaines dans le hall. Un autel a été installé et un prêtre
est venu pour l’office. Il y avait tous les
Sur le sol national leurs régiments Espagnols et tous les Français (sauf les
vainqueurs. derniers internés). Le chœur et la musique
étaient dirigés par un chef d’orchestre et
Sous la lune dehors le cri des sentinelles étaient très bien. J’ai songé au premier jour où
Réveillait les échos d'antiques citadelles nous sommes arrivés, accueillis par ces
Sans pouvoir attaquer leur espoir ni leur mêmes voix et sons. Après la messe nous
sommes allés nous aligner dans la cour et le
cœur. directeur de la prison nous a passés en revue.
Puis, sur le signal du clairon, nous avons dû
11. « Mes parents savent-ils que je suis lever le bras et crier : “ Franco ”. Puis nous
ici ? » nous sommes dispersés.

De quoi est faite la vie de l’interné ? De rien, Lundi 5 juillet 1943.
ou presque. La soupe, la faim qui tenaille, la Notre 12e jour de réclusion. Ce matin, j’ai fait
coupe de la barbe, les sorties dans la cour, la la lessive au “ lavadero ” avec du savon qui
venue du délégué de la Croix-Rouge, les mousse et que j’ai acheté ici. Cet après-midi,
tentatives de versification pour tuer le temps, j’ai fait la queue pour le coiffeur. Je n’y suis pas
et surtout, la lancinante attente d’un
“ départ ” toujours rêvé, parfois annoncé,
mais toujours repoussé… Deux principales

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