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s dont cette lettre adressée à Boyer-Mas que les conditions physiques où nous vivons
ne porte pas trace. L’égoïsme entre les ici me procurent quelques inquiétudes surtout
internés. L’humanité libre représentée par les à l'approche des jours chauds quant à une
gardes espagnols, “ plus bêtes que rechute possible de ma pleurésie. Pour une
méchants ”, qui n’hésitent pas, pour “ se occupation active, avec les ressources
distraire ”, à uriner dans la grande cuve qui alimentaires correspondantes, je suis
contenait la soupe du soir. Les gros rats effectivement guéri ; pour une usure lente, en
luisants, répugnants et fidèles visiteurs du soir. pleine sous-alimentation, avec les maux qui
sont ici les nôtres, je crains de plus en plus de
Une sorte de “ découragement ” qui le prend ne pouvoir tenir jusqu'au bout. Je me suis fait
parfois, lui faisant perdre le goût du combat examiner sur place, et le docteur du camp m'a
comme de la vie. “ J’avais l’impression que inscrit sur une liste de départ en balnéario.
j’étais coupé de tout pour rien ”, me dira-t-il.
Sortir de cette géhenne est une urgence. Il se Une telle solution ne me sourit nullement, et
décide alors à écrire à Monseigneur Boyer- je voudrais pouvoir l'éviter. Je ne tiens pas,
Mas. sous prétexte de sauvegarder ma santé, à
m'engager sur une voie de garage. Mais je ne
Monsieur, tiens pas non plus à m'esquinter ici sans
A la fin de mon deuxième mois dans ce camp, aucune utilité pour personne. Ajouter à cela le
je me décide à vous écrire, à venir ajouter une douloureux état d'abrutissement dans lequel
importunité de plus à celles qui sans doute nous sommes sans doute tous plongés ici,
chaque jour vous assaillent. Je suis agrégatif mais dont nous souffrons plus ou moins
de philosophie. J'ai quitté la France aussitôt suivant les cas. J'ai essayé de lutter contre lui
que je l'ai pu, c'est à dire aussitôt remis d'une par diverses activités intellectuelles, mais il
pleurésie. m'avait fallu y renoncer, au moins
momentanément, pour d'impérieuses raisons
On m'avait assuré que la situation en Espagne physiologiques...
s'améliorait beaucoup, du moins du point de
vue des départs : et c'était là pour moi Je vous prie, Monsieur, de pardonner une
l'essentiel. Or depuis que je suis ici, je n'ai pas aussi longue épître, que je ne puis terminer
l'impression d'avoir vu augmenter si peu que qu'en sollicitant une fois encore votre
ce soit mes chances de quitter un jour ce bienveillance, et en vous exprimant ma
camp. J'assiste à quelques départs, toujours confusion d'avoir dû tenter une telle
bien décevants ; j'apprends qu'avec une démarche.
remarquable fréquence les bénéficiaires Veuillez croire, Monsieur, à mes sentiments
suscitent, par leur attitude, certaines de respectueuse considération et de réelle
difficultés avec le gouvernement espagnol, et gratitude.
j'en viens à penser que le seul moyen de sortir
d'ici consiste à signaler individuellement sa 21. Grèves de la faim
présence et tenter de fournir quelques
garanties d'une correction et d'une tenue Si l’interventionnisme personnel est souvent
éventuellement nécessaires. pratiqué, des revendications collectives
peuvent prendre forme. Elles sont
Or je désire sortir d'ici le plus tôt qu'il sera généralement destinées à menacer la Mission
possible, d'abord parce que la stupidité de française de Madrid d’un débordement
cette inaction est d'autant plus vexante qu'on éventuel, comme une grève de la faim. C’est
était parti avec des buts définis, et puis parce un chantage au départ. Les balnéarios, nous

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