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rues du faubourg de la gare sont Beaucoup souffrent du mal de mer car le vent
parcourues par des Français. Nous volons un fait gîter le bateau et ride assez profondément
peu partout, heureux de profiter d’un peu de la surface de l’eau. Je résiste à ce mal de mer.
liberté. Hélas, le train a quitté la gare avec tous Mon temps se passe à voir ce bateau fendre la
les colis ! Nous nous dirigeons vers le port masse de l’Océan. La nuit arrive avec la pluie
espérant que le train arrivera jusqu’ici. Déjà, et la grosse mer. Plus des ¾ sont malades et
certains embarquent sur les deux bateaux restent couchés dans l’entrepont où j’ai
réservés à notre voyage : le Sidi-Brahim et le horreur de mettre les pieds.
général Lépine. Je m’inquiète un peu de mon
linge qui m’est encore d’une indispensable Mercredi 15 décembre.
utilité. Une camionnette arrive avec quelques
bagages mais il manque ; elle retourne Des lumières précédées d’un phare
jusqu’au train avec l’assurance que tous les
bagages seront ramassés et rapportés au port. annoncent Casa. Et j’assiste à la rentrée au
Nous nous préparons à embarquer lorsque
l’auto revient et j’y retrouve mes affaires avec port devant la gare maritime. Nous attendons
joie. Nous embarquons sur le Sidi-Brahim vers
11h et attendons le départ qui a lieu à 22h, à le jour pour débarquer où des régiments de
la nuit. J’assiste, malgré la fatigue, à la sortie
du port. Le voyage me plaît particulièrement ; musique en tête nous rendent les honneurs.
il fait assez de vent et c’est emmitouflé dans la
couverture de laine de la Croix-Rouge que je Le Lépine débarque ensuite. Descente et pose
regarde fuir les dernières lumières de Malaga,
de l’Espagne. du pied sur la terre d’Afrique française libre.
Mardi 14 décembre. Réception dans la gare où des généraux et
Dans l’entrepont où nous couchons (par
terre), il fait une chaleur irrespirable. hautes personnalités nous font quelques
Beaucoup dorment sur le pont supérieur à
l’abri derrière la cheminée ou les bastingages. allocutions. Applaudissements au cri de “ Vive
René et moi faisons de même et dans les
couvertures nous nous endormons, bercés la France ”. La Croix-Rouge nous ravitaille en
par le roulis et le tangage qui commencent à
se faire sentir. Nous voyageons ainsi casse-croûte et cigarettes et nous sommes
latéralement avec le Lépine et escortés déjà
de 3 bâtiments de guerre qui nous attendaient conduits au camp de Médiouna. C’est autre
à la sortie du port.
chose que le camp de Miranda ! Nous sommes
Nous nous réveillons sous un clair de lune
brillant et un vent extrêmement violent qui a dans des dortoirs par 60 sur des lits avec draps
fait fuir les “ campeurs ”. Nous ne sommes
que deux sur ce pont balayé par le vent du et couvertures. Nous mangeons dans un
large. Nous gagnons un autre abri sous des
tentes et y passons le reste de la nuit. Toute la réfectoire et là il y a tables, assiettes et
journée nous avons vogué entre ciel et eau
après le passage de Gibraltar vers 6h du matin. couverts. Quelque chose de normal, quoi !
Nous devons y passer quelques jours pour les
papiers et l’engagement : visite médicale,
carte d’identité, renseignements,
recrutement, affectation, trésorerie pour
prime d’engagement, établissement des frais
d’Espagne, mise en route.
Jeudi 16 décembre… Vendredi 17… Samedi
18… Jours d’indécision pour le choix de
l’arme : Marine ou Groupe de Transports ?
Pile ou face ? 48 h de réflexion. C’est la Marine
que je choisis. En route pour le dépôt.
Quitter l’Europe marque le début de la mise en
œuvre d’une espérance fabuleuse. Mais pour
certains, c’est le surgissement soudain d’une
dimension de la réalité qui tardait à
apparaître : ces hommes prennent conscience
de ce que leur pays et leurs proches s’éloignent
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parcourues par des Français. Nous volons un fait gîter le bateau et ride assez profondément
peu partout, heureux de profiter d’un peu de la surface de l’eau. Je résiste à ce mal de mer.
liberté. Hélas, le train a quitté la gare avec tous Mon temps se passe à voir ce bateau fendre la
les colis ! Nous nous dirigeons vers le port masse de l’Océan. La nuit arrive avec la pluie
espérant que le train arrivera jusqu’ici. Déjà, et la grosse mer. Plus des ¾ sont malades et
certains embarquent sur les deux bateaux restent couchés dans l’entrepont où j’ai
réservés à notre voyage : le Sidi-Brahim et le horreur de mettre les pieds.
général Lépine. Je m’inquiète un peu de mon
linge qui m’est encore d’une indispensable Mercredi 15 décembre.
utilité. Une camionnette arrive avec quelques
bagages mais il manque ; elle retourne Des lumières précédées d’un phare
jusqu’au train avec l’assurance que tous les
bagages seront ramassés et rapportés au port. annoncent Casa. Et j’assiste à la rentrée au
Nous nous préparons à embarquer lorsque
l’auto revient et j’y retrouve mes affaires avec port devant la gare maritime. Nous attendons
joie. Nous embarquons sur le Sidi-Brahim vers
11h et attendons le départ qui a lieu à 22h, à le jour pour débarquer où des régiments de
la nuit. J’assiste, malgré la fatigue, à la sortie
du port. Le voyage me plaît particulièrement ; musique en tête nous rendent les honneurs.
il fait assez de vent et c’est emmitouflé dans la
couverture de laine de la Croix-Rouge que je Le Lépine débarque ensuite. Descente et pose
regarde fuir les dernières lumières de Malaga,
de l’Espagne. du pied sur la terre d’Afrique française libre.
Mardi 14 décembre. Réception dans la gare où des généraux et
Dans l’entrepont où nous couchons (par
terre), il fait une chaleur irrespirable. hautes personnalités nous font quelques
Beaucoup dorment sur le pont supérieur à
l’abri derrière la cheminée ou les bastingages. allocutions. Applaudissements au cri de “ Vive
René et moi faisons de même et dans les
couvertures nous nous endormons, bercés la France ”. La Croix-Rouge nous ravitaille en
par le roulis et le tangage qui commencent à
se faire sentir. Nous voyageons ainsi casse-croûte et cigarettes et nous sommes
latéralement avec le Lépine et escortés déjà
de 3 bâtiments de guerre qui nous attendaient conduits au camp de Médiouna. C’est autre
à la sortie du port.
chose que le camp de Miranda ! Nous sommes
Nous nous réveillons sous un clair de lune
brillant et un vent extrêmement violent qui a dans des dortoirs par 60 sur des lits avec draps
fait fuir les “ campeurs ”. Nous ne sommes
que deux sur ce pont balayé par le vent du et couvertures. Nous mangeons dans un
large. Nous gagnons un autre abri sous des
tentes et y passons le reste de la nuit. Toute la réfectoire et là il y a tables, assiettes et
journée nous avons vogué entre ciel et eau
après le passage de Gibraltar vers 6h du matin. couverts. Quelque chose de normal, quoi !
Nous devons y passer quelques jours pour les
papiers et l’engagement : visite médicale,
carte d’identité, renseignements,
recrutement, affectation, trésorerie pour
prime d’engagement, établissement des frais
d’Espagne, mise en route.
Jeudi 16 décembre… Vendredi 17… Samedi
18… Jours d’indécision pour le choix de
l’arme : Marine ou Groupe de Transports ?
Pile ou face ? 48 h de réflexion. C’est la Marine
que je choisis. En route pour le dépôt.
Quitter l’Europe marque le début de la mise en
œuvre d’une espérance fabuleuse. Mais pour
certains, c’est le surgissement soudain d’une
dimension de la réalité qui tardait à
apparaître : ces hommes prennent conscience
de ce que leur pays et leurs proches s’éloignent
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