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.1943. Je me refuse d’avance. Les jeunes
Au réveil, pleine mer. Vers midi, nous polytechniciens sont très excités, depuis qu’ils
pénétrons dans le chenal balisé des champs sont “ libres ”. L’un d’eux vient me trouver et
de mines qui protègent la côte marocaine. me demande conseil, car il est vivement
Voici Casablanca. Le Jean-Bart, démantelé, est choqué de voir partout dans ces casernes de
là. Deux ou trois coques en l’air sur le rivage. l’armée d’Afrique, le portrait de Pétain. Je
Nous accostons. regrette avec lui cette équivoque
insoutenable, mais, pour ma part, je déclare
Réception chaleureuse, malgré la douane ! inutile d’aller à Londres, en terre étrangère,
Discours d’un contrôleur et d’un général qui, puisqu’une terre française l’AFN, est en guerre
au nom du Général Giraud, nous annonce que contre l’Allemagne. De plus, je connais trop de
nous sommes titulaires de la médaille des collègues en Afrique, pour m’en aller
évadés. Sandwiches de la Croix Rouge. Nous maintenant ailleurs. Enfin, on peut supposer
montons dans le train qui démarre à 19 h. que le général de Gaulle ne tardera pas à
pour Marrakech ! s’installer à Alger.
7.5.1943. 9.5.1943.
A 7 h. Arrivée à Marrakech. Réception à la C’est la célébration de la fête de Jeanne d’Arc.
gare. Café au lait de la Croix Rouge. Nous Il est émouvant de voir de nouveau des
sommes conduits à la caserne du R.A.C.L. troupes françaises libres, armées de matériel
(Régiment d’artillerie coloniale du Levant), moderne (bien qu’il ne s’agisse encore que de
aux fins d’hébergement et de vérification pièces de DCA). Le train part dans la soirée. Je
d’identités. n’ai pas été obligé de signer à droite, ni à
gauche. J’ai revu mes compagnons de la
Dans l’après-midi, deux officiers font cercle pension de Barcelone : le communiste va à
autour d’eux dans la cour. Je m’approche et Londres, mais nous tombons tous d’accord sur
m’enquiers. Ce sont des députés de Paris, le caractère lamentable de ces divisions, et il
Charles Vallin et Louis Dumat. Le premier, ajoute : “ Il ne peuvent donc pas
P.S.F. dissident, cherche à démontrer qu’il s’entendre ? ” Il paraît que la majorité des
faut rejoindre de Gaulle. Le deuxième fait de évadés s’est prononcée pour de Gaulle.
la propagande pour Giraud. Je me contente de
demander pourquoi cette division et j’ai la 11. 5. 1943.
sensation d’être l’interprète de l’auditoire. Je vais à Meknès, puis à Rabat. J’y dîne chez le
Vallin me répond qu’il “ s’agit d’un accord capitaine B., officier d’ordonnance du général
entre les deux comités de Londres et d’Alger ”. Noguès, dans le parc de la Résidence. Il me
paraît très en arrière de la main, plein de fiel
8.5.1943. contre les Anglo-Saxons, très “ pétiniste ” en
La prise de Bizerte et de Tunis est annoncée et un mot…
confirmée. La consultation électorale de
Gaulle-Giraud se poursuit, car c’est bien cela 14.5.1943.
que Vallin et Dumat sont venus faire, pour Nous avons dû coucher à Oran, deux officiers
sonder l’opinion des évadés, frais émoulus de et moi qui gagnons Alger. Nous avons dormi
la métropole. Nous apprenons même, dans la dans un dortoir d’externat de lycéens. Le
soirée, qu’il faudra signer et qu’on ne pourra directeur nous a très aimablement offert un
prendre le train qu’après avoir “ choisi ”. café au lait, denrée rare, avant que nous ne
reprenions le train. Les rues sont remplies
d’Américains et la plaine couverte de dépôts
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Au réveil, pleine mer. Vers midi, nous polytechniciens sont très excités, depuis qu’ils
pénétrons dans le chenal balisé des champs sont “ libres ”. L’un d’eux vient me trouver et
de mines qui protègent la côte marocaine. me demande conseil, car il est vivement
Voici Casablanca. Le Jean-Bart, démantelé, est choqué de voir partout dans ces casernes de
là. Deux ou trois coques en l’air sur le rivage. l’armée d’Afrique, le portrait de Pétain. Je
Nous accostons. regrette avec lui cette équivoque
insoutenable, mais, pour ma part, je déclare
Réception chaleureuse, malgré la douane ! inutile d’aller à Londres, en terre étrangère,
Discours d’un contrôleur et d’un général qui, puisqu’une terre française l’AFN, est en guerre
au nom du Général Giraud, nous annonce que contre l’Allemagne. De plus, je connais trop de
nous sommes titulaires de la médaille des collègues en Afrique, pour m’en aller
évadés. Sandwiches de la Croix Rouge. Nous maintenant ailleurs. Enfin, on peut supposer
montons dans le train qui démarre à 19 h. que le général de Gaulle ne tardera pas à
pour Marrakech ! s’installer à Alger.
7.5.1943. 9.5.1943.
A 7 h. Arrivée à Marrakech. Réception à la C’est la célébration de la fête de Jeanne d’Arc.
gare. Café au lait de la Croix Rouge. Nous Il est émouvant de voir de nouveau des
sommes conduits à la caserne du R.A.C.L. troupes françaises libres, armées de matériel
(Régiment d’artillerie coloniale du Levant), moderne (bien qu’il ne s’agisse encore que de
aux fins d’hébergement et de vérification pièces de DCA). Le train part dans la soirée. Je
d’identités. n’ai pas été obligé de signer à droite, ni à
gauche. J’ai revu mes compagnons de la
Dans l’après-midi, deux officiers font cercle pension de Barcelone : le communiste va à
autour d’eux dans la cour. Je m’approche et Londres, mais nous tombons tous d’accord sur
m’enquiers. Ce sont des députés de Paris, le caractère lamentable de ces divisions, et il
Charles Vallin et Louis Dumat. Le premier, ajoute : “ Il ne peuvent donc pas
P.S.F. dissident, cherche à démontrer qu’il s’entendre ? ” Il paraît que la majorité des
faut rejoindre de Gaulle. Le deuxième fait de évadés s’est prononcée pour de Gaulle.
la propagande pour Giraud. Je me contente de
demander pourquoi cette division et j’ai la 11. 5. 1943.
sensation d’être l’interprète de l’auditoire. Je vais à Meknès, puis à Rabat. J’y dîne chez le
Vallin me répond qu’il “ s’agit d’un accord capitaine B., officier d’ordonnance du général
entre les deux comités de Londres et d’Alger ”. Noguès, dans le parc de la Résidence. Il me
paraît très en arrière de la main, plein de fiel
8.5.1943. contre les Anglo-Saxons, très “ pétiniste ” en
La prise de Bizerte et de Tunis est annoncée et un mot…
confirmée. La consultation électorale de
Gaulle-Giraud se poursuit, car c’est bien cela 14.5.1943.
que Vallin et Dumat sont venus faire, pour Nous avons dû coucher à Oran, deux officiers
sonder l’opinion des évadés, frais émoulus de et moi qui gagnons Alger. Nous avons dormi
la métropole. Nous apprenons même, dans la dans un dortoir d’externat de lycéens. Le
soirée, qu’il faudra signer et qu’on ne pourra directeur nous a très aimablement offert un
prendre le train qu’après avoir “ choisi ”. café au lait, denrée rare, avant que nous ne
reprenions le train. Les rues sont remplies
d’Américains et la plaine couverte de dépôts
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