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s serrons dans notre trou. Ainsi, ce passé d’une histoire personnelle au cœur du drame
tout récent, hanté de tant de peurs et de tant de l’Histoire. Maurice Langlois a évité la
d'émotions rejoignait les longues heures déportation et une mort presque certaine,
présentes de cette interminable nuit. Il se mais la montagne s’est substituée à la folie des
mêlait au froid, aux insomnies, à cette douleur hommes. Le témoignage de Marie-Louise
tout à coup aiguë et lancinante qui nous faisait Langlois est consigné dans le procès-verbal de
toucher avec une conscience accrue toute la décès dressé à Saragosse, le 17 décembre
précarité de notre situation. Jamais je n'ai 1943, par les autorités espagnoles.
désiré le jour avec une telle avidité.
Je soussignée, Mme Maurice Langlois, née
Impassible, inhumaine, la montagne enserrait Marie-Louise Elter, déclare le décès de mon
de toutes parts de son étreinte glaciale, huit époux Maurice Jean-Marie Langlois, né le 24
jeunes qui grelottaient. Au cœur des août 1913 à Toulon (Var), de Xavier Langlois et
Pyrénées, pris à leur propre piège, huit Lise Barthès, son épouse. Le décès a eu lieu le
Français aussi continuaient à vouloir passer. premier décembre 1943 à neuf heures dans
un endroit qu’on m’a dit être situé dans le
6. Mortelles randonnées massif de la Covarde. Mon mari avait été
arrêté par les autorités allemandes le 5
Le franchissement des lignes pyrénéennes octobre 1943. Il s’était évadé de l’Hôtel de la
peut être une mortelle randonnée. Paix à Biarritz (siège de la Gestapo), le 18
Impitoyable, la montagne est une machine à octobre, dans des conditions assez difficiles.
éliminer les faibles. Beaucoup, d’ailleurs, et Le séjour en prison et l’évasion ont provoqué,
notamment les hommes âgés, ne furent pas une quinzaine de jours plus tard, une
du voyage en raison de la crainte que ce congestion pulmonaire qui a retardé notre
danger tout naturel représente. Une de ses départ : celui-ci n’a pu avoir lieu que le 30
victimes est Maurice Langlois, cadre au novembre 1943 à 20h 30 de Cette-Eyglum.
ministère de l’Industrie et membre Vers 23 heures, mon mari a fait une chute
(notamment) du réseau de Résistance dans un gave. Il semble que cet accident ait
“ Jade ”. Suite à des arrestations de proches, il été déterminant pour la suite des événements
croit savoir que le contre-espionnage car mon mari semblait, dans la grange où nous
allemand est sur ses traces. Il décide alors de nous sommes arrêtés 20 minutes plus tard,
prendre le chemin des Pyrénées, accompagné avoir subi une forte commotion.
de sa femme, Marie-Louise. A la suite d’une
rafle, il est interné à l’Hôtel de la Paix à Biarritz Nous avons quitté la grange vers une heure du
(siège de la Gestapo), d’où il doit partir pour le matin. Mon mari a donné les premiers signes
Fort du Hâ, à Bordeaux, point départ habituel de fatigue vers trois heures lorsque nous
vers la déportation. Il s’en échappe. Le avons commencé à nous égarer dans la neige
passage en Espagne devient alors l’unique et dans la brume. Vers six heures du matin,
voie du salut. Mais nous sommes en nous avons fait une halte dans une cabane afin
novembre, il fait froid. A pied, le groupe où se d’attendre le jour. Mon mari était épuisé.
trouvent les Langlois s’engage sur le col de Nous avons quitté cet abri vers sept heures et
Somport puis sur le col de Pau, situé à 1 850 demie. Mon mari marchait avec une extrême
mètres, très fortement enneigé. C’est difficulté. Au bout d’une demi-heure, les
beaucoup, beaucoup trop, pour un homme guides furent obligés de le porter. Vers neuf
affaibli, même s’il n’a que 30 ans (soit 5 ans heures, les guides m’ont appelée pour me
au-dessus de la moyenne d’âge des évadés). demander une décision, m’affirmant que la
L’affaire tourne au drame. Le drame singulier frontière était trop éloignée pour qu’on pût y

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