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nsporter mon mari. Au même moment, arrêter dans une cabane délabrée après avoir
après une agonie d’une minute, mon mari erré plusieurs heures dans la neige et le
mourait sans avoir repris conscience. Il était brouillard. Nous ne pouvons situer le lieu
impossible en cet endroit d’attarder toute la précis de cet arrêt. Toutefois, nous pouvons
caravane car nous nous trouvions en territoire dire que nous étions près d’un groupe de trois
français. Nous repartions, donc, après un arrêt cabanes construites sur un petit plateau situé
de quinze minutes. Les guides m’ont donné dans le massif de la Covarde, environ à deux
l’assurance que mon mari serait enseveli heures et demie de marche du plateau de
provisoirement sous un rocher. Nous sommes Lhers. Nous restâmes dans cet abri précaire
arrivés à la Casa de la Mina [le poste des près de deux heures.
carabiniers espagnols] à seize heures trente.
Les intentions de mon mari ainsi que les L’accidenté paraissait inconscient. Vers sept
miennes étaient de nous rendre à Alger afin heures trente, nous reprîmes notre route. M.
d’y continuer la lutte que nous menions Langlois ne put marcher seul. Aidé par l’un des
depuis 1941 à Paris, celle-ci étant devenue guides, il réussit pourtant à poursuivre son
presque impossible depuis l’arrestation de la chemin, mais, au bout d’une demi-heure,
plupart de nos camarades de combat. l’intervention du deuxième guide fut
nécessaire. Visiblement, l’épuisement de
Par ce tragique accident, par les témoignages l’accidenté était complet. Bientôt, les guides,
que les autorités sont obligé de recueillir –ce se relayant, le chargèrent sur leurs épaules,
qui n’est pas toujours le cas- les candidats à mais, une vingtaine de minutes plus tard, le
l’évasion clandestine qui accompagnent décès fut constaté. Il était neuf heures
Langlois deviennent ipso facto des gens fichés environ. En raison des circonstances, nous ne
le plus officiellement qu’il soit possible. Leurs pouvons préciser le lieu de décès. Toutefois,
dépositions en témoignent. Ces clandestins, à nous pouvons dire que le cadavre se trouvait
peine franchie la frontière, doivent livrer une à une demi-heure de marche environ de la
parole officielle, comme dans ce procès-verbal cabane la plus proche, en territoire français.
confirmatif de décès. Une parole officielle bien En foi de quoi nous signons.
en deçà de l’émotion que ce drame a suscitée
chez ses témoins. Le passage des Pyrénées n’est pas une
excursion champêtre. C’est une épreuve très
Saragosse, le 17 décembre 1943. sélective, qui en dissuadera plus d’un, et qui
Nous, Michel Poniatowski, Georges Izar, explique que l’âge médian des évadés soit très
Gaston Soulet, Donjuan René, déclarons avoir jeune. Elle peut se terminer très mal, par la
quitté le village de Cette (Basses-Pyrénées) le mort ou par la déportation. C’est que raconte
mardi 30 novembre 1943 à vingt heures trente Aimé Bonifas, un étudiant qui termine son
en direction du plateau de Lhers. Pendant droit à Montpellier. S’étant dérobé au STO, il
l’ascension, M. Langlois fit une chute veut entrer en Résistance, à l’exemple de son
malheureuse dans l’un des torrents qui maître, le professeur Pierre-Henri Teitgen.
sillonnent le plateau. A ce moment, L’aventure tourne court. Arrêté en pleine
l’accidenté donnait déjà des signes de fatigue. ascension de la montagne, il est déporté, entre
Nous arrivâmes peu après dans une grange. Il autres, à Buchenwald. Soucieux de dire la
était minuit. M. Langlois changea de vérité (son récit n’était destiné à la
vêtements et nous repartîmes une heure plus publication), il ne met pas seulement en cause
tard. Depuis cet instant, l’épuisement de la fatalité : il incrimine certains de ses
l’accidenté ne cessa de croître. Nous compagnons de route insuffisamment
marchâmes toute la nuit et dûmes nous préparés, moralement s’entend.

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