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endant, une sourde angoisse m’étreint allaient à Bordeaux en cabane au fort du Hâ.
lorsque je songe à la peine des miens quand ils Je suis allé leur chercher un bidon d’eau car ils
apprendront que je suis prisonnier. étaient morts de soif. C’était la journée qu’il a
fait si chaud, et leur ai donné un bout de pain
Mais certains n’auront même pas la possibilité qui me restait.
de faire connaissance avec la montagne ;
simplement soupçonnés, ils sont cueillis par En même temps ils m’ont fait passer trois
l’occupant et expédiés directement dans les lettres dont une pour la Vienne dans un
camps nazis. André Rogerie est arrêté et mouchoir avec initiales HR 34, une pour
interné à Bayonne. De là, il est conduit au fort Bordeaux : ce doit être votre fils qui me l’a
du Hâ à Bordeaux, lieu de ralliement pour la passée. Mais je n’ai pas pu causer longtemps
déportation en Allemagne via le camp de avec eux car j’ai fait tout cela pendant le
Compiègne. Il sent que le pire l’attend, que stationnement en gare.
l’au-revoir dit à sa mère était en fait un adieu.
Il décide, sur un papier de fortune minuscule, A Bordeaux commence une longue route vers
de griffonner un mot pour informer sa mère de l’enfer. Deux amis ont tenté le passage de la
son changement de destination. Mot bref, frontière en 1944. Les Allemands déjouent leur
mais lourd de menaces inconnues à venir, plan, les internent à Bordeaux et les expédient
malgré l’excellence du “ moral ” déclarée pour à Dachau. L’un des deux n’en reviendra pas. A
ne pas inquiéter. la Libération, celui qui est revenu écrit une
lettre aux parents de son ami.
Le 17 août (1943)
Ma chère maman, Devant aller à Paris prochainement, je me
Nous sommes partis de Bayonne pour promettais de rechercher votre adresse et
Bordeaux (fort du Hâ), je suis dans le train. De d’aller vous voir au sujet de votre fils René.
là nous partirons sans doute pour l’Allemagne Venant de recevoir votre lettre, je peux donc
comme travailleur. Santé et moral excellents. dès maintenant vous donner des détails que
Je vous embrasse tous, vous devez attendre avec impatience. Le 9
ton fils qui t’aime. André. août 1944, lorsque nous sommes partis de
Bordeaux, nous étions René et moi dans le
Ce mot fut remis in extremis à un employé même wagon. Là, nous avons fait
courageux de la S.N.C.F. affecté à une petite connaissance et nous avons été attirés l’un
gare située entre Dax et Bordeaux, lequel l’a vers l’autre par le même élan de sympathie.
réexpédié à la mère du jeune homme, en Nous avions senti l’un et l’autre que nous
l’accompagnant de la lettre que voici. pourrions nous entendre et devenir des amis.
Pendant les 19 jours qu’a duré le voyage, nous
Bordeaux le 24 août 1943 avons connu la faim et surtout la soif. René
Madame Rogerie, supportait courageusement sa souffrance et
Le 17 août au soir en gare d’Ychoux au train tous les deux nous nous encouragions. Dans
4052 omnibus qui venait de Dax, j’ai aperçu ce wagon, nous avions formé un petit groupe
une voiture pleine de jeunes gens entassés de 10, jurant de ne jamais nous abandonner.
comme des sardines qui cherchaient à me Aujourd’hui, je suis le seul survivant de ce
parler, mais n’osaient pas, car ils étaient groupe.
gardés comme vous pouvez le penser. Je me
suis approché de la voiture à contre voie, suis Le 28 août 1944, nous sommes arrivés à
monté sur la banquette et ils m’ont dit qu’ils Dachau où nous sommes restés jusqu’au 10
avaient été arrêtés vers la frontière et qu’ils septembre en quarantaine. Là, j’ai pu encore

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