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seillers que l’un et l’autre dans ces tout à faire inaperçue. Beaucoup de mes
tourments ? Quand les chevaux n’ont pas de compagnons ont une valise, un sac ou un
foin à l’écurie, ils se battent et les prisonniers carton, mais quelques-uns n’ont aucun
de Miranda n’échappent pas à la règle. En bagage et le fait d’être les mains vides ne me
outre l’angoisse rend agressif, et beaucoup distingue pas non plus des autres. Le temps
des détenus sont hargneux comme des chiens passe, les lampadaires s’allument, un soldat
ou des chats apeurés. Seuls les hommes à vient se mettre sous l’un d’eux et distribue le
l’âme trempée conservent une certaine courrier. Le clairon a sonné le couvre-feu
sérénité et se réconfortent mutuellement depuis longtemps et la nuit est déjà fraîche
d’un regard quand, de loin en loin, ils se quand, tout à coup, des silhouettes courent en
croisent dans la foule maussade. Oui, les silence autour de la place. En un clin d’œil
camps de concentration sont d’abord un nous sommes encerclés par une cinquantaine
rassemblement de gens qui se haïssent, se de soldats et j’entends très distinctement une
méfient les uns des autres, se volent, s’épient, voix lancer : Hay un Francès entre vosotros !
se dénoncent, se vengent et donnent des
coups de pieds à la bulgare. Dédé Besnard Catastrophe ! On nous presse les uns contre
distribuant sa morue n’est pas à sa place ici, les autres dans un angle, et sous les
pas plus que Jean Hébert, le héros de Cervera. lampadaires des soldats se disposent sur deux
Oui, Miranda est un sale monde. […] rangs entre lesquels on nous fait défiler un par
un. On va bien voir que je ne suis pas
Le lendemain de la distribution de morue, un Espagnol ! Les autres passent. Bientôt il ne
de mes camarades me souffle à l’oreille : reste guère plus d’une centaine de prisonniers
Ya David qui s’évade ! Quoi, qui s’évade ? non contrôlés, et parmi eux David, facilement
C’est fait ou ça va se faire ? Il est en train de reconnaissable à la grosse veste de cuir
s’évader. Et il m’explique comment David s’est achetée à Villette. Lequel de nous deux se
glissé parmi les quatre ou cinq cents décidera-t-il le premier ? Moi, je sais qu’il est
Républicains espagnols rassemblés sur la là, mais lui ignore ma présence. Nous ne
Grand’Place après le salut aux couleurs pour pouvons tout de même pas rester les derniers,
être dirigés par le train vers un camp de comme des poissons trop bêtes pour sortir de
travail. De la part de ce grand garçon de 25 ans la nasse. Enfin, David se dirige vers les deux
taciturne, inquiet, pas spécialement files de soldats, et aussitôt les Espagnols se
audacieux, cette initiative surprend un peu. En mettent à hurler en l’accablant d’une grêle de
tout état de cause, son plan d’action s’imagine coups. Son béret tombe sur le sol, et malgré
aisément : dans les camps de travail la ses bras repliés autour de la tête, les nerfs de
surveillance ne peut pas être aussi sévère qu’à bœufs dansent sur son crâne tondu. Toujours
Miranda : comme il sera en surnombre, David hurlant et gesticulant ses matraqueurs le
s’échappera aisément sans déclencher traînent au calabozo tout proche. Quand ils
aussitôt des recherches. ont disparu, on entend encore longtemps les
coups et les cris. […]
Je ne réponds rien, mais une fois seul, au lieu
de rentrer à la sarna, je vais dire deux mots à Le lendemain, la mésaventure du pauvre
Pulini, puis je me dirige vers la Grand’Place David défraye la chronique mirandaise. Il a été
pour me mêler moi aussi aux Espagnols dénoncé, et sur ce point aucun doute n’est
attendant le départ. Le soir tombe. Les possible, c’est B. le mouchard. B. est un
prisonniers se rassemblent par petits groupes Français d’une trentaine d’années, grand,
et parlent à voix basse, mais certains restent maigre, au regard fuyant, aux allures de faux-
isolés et ma présence au milieu d’eux passe jeton. Nul ne sait pourquoi il a franchi la
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tourments ? Quand les chevaux n’ont pas de compagnons ont une valise, un sac ou un
foin à l’écurie, ils se battent et les prisonniers carton, mais quelques-uns n’ont aucun
de Miranda n’échappent pas à la règle. En bagage et le fait d’être les mains vides ne me
outre l’angoisse rend agressif, et beaucoup distingue pas non plus des autres. Le temps
des détenus sont hargneux comme des chiens passe, les lampadaires s’allument, un soldat
ou des chats apeurés. Seuls les hommes à vient se mettre sous l’un d’eux et distribue le
l’âme trempée conservent une certaine courrier. Le clairon a sonné le couvre-feu
sérénité et se réconfortent mutuellement depuis longtemps et la nuit est déjà fraîche
d’un regard quand, de loin en loin, ils se quand, tout à coup, des silhouettes courent en
croisent dans la foule maussade. Oui, les silence autour de la place. En un clin d’œil
camps de concentration sont d’abord un nous sommes encerclés par une cinquantaine
rassemblement de gens qui se haïssent, se de soldats et j’entends très distinctement une
méfient les uns des autres, se volent, s’épient, voix lancer : Hay un Francès entre vosotros !
se dénoncent, se vengent et donnent des
coups de pieds à la bulgare. Dédé Besnard Catastrophe ! On nous presse les uns contre
distribuant sa morue n’est pas à sa place ici, les autres dans un angle, et sous les
pas plus que Jean Hébert, le héros de Cervera. lampadaires des soldats se disposent sur deux
Oui, Miranda est un sale monde. […] rangs entre lesquels on nous fait défiler un par
un. On va bien voir que je ne suis pas
Le lendemain de la distribution de morue, un Espagnol ! Les autres passent. Bientôt il ne
de mes camarades me souffle à l’oreille : reste guère plus d’une centaine de prisonniers
Ya David qui s’évade ! Quoi, qui s’évade ? non contrôlés, et parmi eux David, facilement
C’est fait ou ça va se faire ? Il est en train de reconnaissable à la grosse veste de cuir
s’évader. Et il m’explique comment David s’est achetée à Villette. Lequel de nous deux se
glissé parmi les quatre ou cinq cents décidera-t-il le premier ? Moi, je sais qu’il est
Républicains espagnols rassemblés sur la là, mais lui ignore ma présence. Nous ne
Grand’Place après le salut aux couleurs pour pouvons tout de même pas rester les derniers,
être dirigés par le train vers un camp de comme des poissons trop bêtes pour sortir de
travail. De la part de ce grand garçon de 25 ans la nasse. Enfin, David se dirige vers les deux
taciturne, inquiet, pas spécialement files de soldats, et aussitôt les Espagnols se
audacieux, cette initiative surprend un peu. En mettent à hurler en l’accablant d’une grêle de
tout état de cause, son plan d’action s’imagine coups. Son béret tombe sur le sol, et malgré
aisément : dans les camps de travail la ses bras repliés autour de la tête, les nerfs de
surveillance ne peut pas être aussi sévère qu’à bœufs dansent sur son crâne tondu. Toujours
Miranda : comme il sera en surnombre, David hurlant et gesticulant ses matraqueurs le
s’échappera aisément sans déclencher traînent au calabozo tout proche. Quand ils
aussitôt des recherches. ont disparu, on entend encore longtemps les
coups et les cris. […]
Je ne réponds rien, mais une fois seul, au lieu
de rentrer à la sarna, je vais dire deux mots à Le lendemain, la mésaventure du pauvre
Pulini, puis je me dirige vers la Grand’Place David défraye la chronique mirandaise. Il a été
pour me mêler moi aussi aux Espagnols dénoncé, et sur ce point aucun doute n’est
attendant le départ. Le soir tombe. Les possible, c’est B. le mouchard. B. est un
prisonniers se rassemblent par petits groupes Français d’une trentaine d’années, grand,
et parlent à voix basse, mais certains restent maigre, au regard fuyant, aux allures de faux-
isolés et ma présence au milieu d’eux passe jeton. Nul ne sait pourquoi il a franchi la
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