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ustration espagnole. Mais ces pensées ne Te souviens-tu du jour où, venu près de toi
sont pas seulement requises pour cette Sur le balcon d’amour, le lieu de la veillée,
glorieuse mission qui donne tout son sens à ses Il te dit à voix basse en s’approchant de toi :
pérégrinations. Au moment il va être pour la “ Voudrais-tu devenir ma douce fiancée ? ”
première fois confronté à la guerre, ce jeune Et songeant avec toi au partage de la vie,
homme découvre l’amour. Et précisément,
l’amour ici s’incarne dans une Il ne connaît dès lors plus que ce mot
“ correspondante de guerre ” ou “ marraine de “ chérie ”.
guerre ”…
“ Jean Bart ”, 29 octobre 1944.

Te souviens-tu du jour ? Vers cette chère Lucienne, les rêves d’amour
du jeune homme convergent. Il connaît alors
Te souviens-tu du jour où, le cœur en une véritable fièvre d’écriture. Car cette
détresse, femme à peine entrevue, il doit la quitter
aussitôt pour remplir sur les mers sa mission
Un marin t’écrivit une charmante lettre ? de combattant. Les mots sont le recours. Ils
Ne sachant rien de toi, exceptés ton adresse subliment la douleur de l’absence. Lettres et
poèmes témoignent de cette fébrilité
Et ton nom dans lequel il omit une lettre, écrivailleuse et amoureuse, de ce besoin
Il commença ainsi ne faisant aucun zèle d’amour et d’intimité.

Par ces mots réguliers : “ Ma Chère Intimité… Amour
Mademoiselle ”.
Ah ! combien il est doux après six mois
Te souviens-tu du jour où, le cœur égayé, d’attente
Ce marin t’écrivit une seconde lettre ?
Tu avais répondu à son vœu formulé Où chaque jour s’écoule dans une marche
lente,
De venir le distraire et puis aussi de mettre
De l’espoir dans son cœur ; et d’une main De pouvoir mettre au point des relations
intimes
tremblante
Il écrivit ces mots : “ Chère Correspondante ”. Et découvrir en soi et malgré soi les rimes

Te souviens-tu du jour où, étant près de toi, Qui répondent alors à l’écho de son cœur !
Il avait demandé, surtout par sympathie, Comme le vent d’automne anime avec
Mais aussi par désir d’en savoir plus de toi, ardeur
Un feu couvant de braises, par ta douce
Que ta correspondance fut celle d’une amie ? présence
Ta réponse fut courte et ne resta pas vaine Tout mon cœur s’est ouvert au seuil de
Puisqu’alors tu devins sa “ Très Chère l’espérance,
Marraine ”.
Et l’Amour a jailli en ses plus fortes flammes ;
Te souviens-tu du jour, de toi s’étant épris, Il est grand, il est noble, car nous l’avons
Où, dans ses longues lettres envoyées construit
fréquemment A l’ombre de Minerve et bien loin de tout
bruit.
Il te parla d’amour en ayant bien compris
La réciprocité d’un noble sentiment. Rien n’y fait plus alors, et malgré ton
absence,
Il te considéra comme étant presque sienne
Et t’écrivit ces mots : “ Ma Très Chère
Lucienne ”.

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